DISCOURS DE POUTINE AU SPIEF’ 25:
Radiographie des ambitions et préoccupations russes…

Le Président de la fédération de Russie, Vladimir Poutine, lors de son allocution à l’assemblée plénière du 20 juin 2025 au SPIEF’25

La 28 édition du Forum économique international de Saint-Pétersbourg (Spief), qui se tient du 18 au 21 juin 2025, a été le théâtre d’une intervention majeure de Vladimir Poutine hier 20 juin au cours de l’assemblée plènière dans la grande salle d’Expo Forum. Occasion d’offrir une rare fenêtre sur les priorités stratégiques, les préoccupations géopolitiques et les ambitions économiques de la Russie. Loin d’une simple allocution de circonstance, le discours du président russe s’est révélé être un condensé de sa vision du monde, articulée autour de plusieurs thèmes clés, allant de la diplomatie internationale à la résilience économique, en passant par les enjeux sécuritaires et la redéfinition de l’ordre mondial. Un discours fleuve, véritable rouleau compresseur statistique, destiné manifestement à imposer le tableau d’une Russie « résiliente », en dépit de la guerre qu’elle mène… c’était en présence des dirigeants de plusieurs pays « amis », dont le président indonésien Prabowo Subianto, le président vice-premier ministre chinois Ding Xuexiang, et le vice-président Sud-africain, qui ont salué la coopération de leurs nations avec la Russie et le « leadership » de son président.
Le discours du chef du Kremlin au Forum de Saint-Pétersbourg est un document essentiel pour comprendre la vision stratégique de la Russie. Il se caractérise par une posture de fermeté face à ce qu’il perçoit comme des menaces occidentales, une détermination à défendre les intérêts russes sur la scène internationale, et une confiance affichée dans la résilience et le développement de son propre pays. Au-delà des déclarations de façade, Vladimir Poutine a clairement tracé les lignes d’un ordre mondial en mutation, où la Russie se positionne en tant qu’acteur-clé dans la construction d’un système multipolaire. L’accent mis sur les Brics, le rejet des logiques néocoloniales et la promotion d’une approche équilibrée des relations internationales témoignent de cette ambition.

La ville de Saint Petersbourg parée aux couleurs de SPIEF’25

Géopolitique en toile de fond : entre menaces existentielles et construction d’un nouvel ordre

Le thème dominant du discours de Poutine est sans conteste la géopolitique, déclinée sous plusieurs angles. Le président russe a dressé un tableau sombre des tensions internationales, évoquant qu’il était « préoccupé » par la possibilité d’une troisième guerre mondiale. « Il existe un très grand potentiel de conflit, qui ne fait qu’augmenter, et cela se passe tout près de la Russie. Cela nous concerne directement », a-t-il affirmé, en mettant l’accent sur les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient. Le président russe a appelé à une vigilance accrue face aux conséquences possibles de l’escalade. « Cette situation exige sans aucun doute toute notre attention, mais surtout des efforts concrets pour trouver des solutions, dans tous les domaines, idéalement par des voies pacifiques », a-t-il souligné. Cette mise en garde, loin d’être anodine, vise à légitimer la posture de la Russie sur la scène internationale, notamment en ce qui concerne le conflit ukrainien et la situation au Moyen-Orient.

L’Ukraine : une tragédie orchestrée par l’Occident et une « erreur colossale » en perspective

Le conflit en Ukraine a occupé une place prépondérante dans l’analyse de Poutine. Il a qualifié la situation de « tragédie », dont il impute la « responsabilité aux pays occidentaux ». Cette rhétorique n’est pas nouvelle, mais elle est réaffirmée avec force, inscrivant le conflit dans une dynamique d’affrontement avec l’Occident. Poutine a, par ailleurs, répété la version russe, selon laquelle l’Otan aurait « rompu ses engagements sur l’élargissement à l’Est », en dépit des promesses faites à Moscou. « La Russie a recensé six vagues d’extension de l’Alliance vers l’Est, en dépit des promesses faites à Moscou, selon lesquelles elle ne s’étendrait pas dans cette direction. », souligne-t-il. Pour lui, les actions russes en Ukraine, entamées après le « coup d’Etat de 2014 », visaient à protéger une population spirituellement liée à la Russie. Le président russe estime que la tragédie en cours est la conséquence des choix de ceux qui refusent d’accepter les transformations mondiales. Réaffirmant sa conception d’une unité historique entre Russes et Ukrainiens, il a déclaré : « Nous sommes un seul et même peuple. Dans ce sens, toute l’Ukraine est à nous. ». Toutefois, il a affirmé que la Russie n’a jamais remis en cause le droit de l’Ukraine à l’indépendance. Pour le président russe, la souveraineté ukrainienne était conditionnée, dès l’origine, à son statut d’« Etat non aligné, non nucléaire et neutre ».

Le président russe a également abordé des points tactiques et stratégiques du conflit, en révélant que les forces ukrainiennes avaient perdu « 76 000 hommes », lors de leur incursion dans la région russe de Koursk, ce qui a justifié la création d’une « zone de sécurité s’étendant sur huit à douze kilomètres le long de la frontière ». Il a laissé entendre que la prise de Soumy n’était pas un objectif immédiat, tout en ne l’excluant pas. « Prendre Soumy ne fait pas partie de nos objectifs, mais, en principe, je ne l’exclus pas », a-t-il souligné.

« bombe sale »

Un point particulièrement alarmant de son discours concerne l’éventualité d’une « bombe sale » utilisée par l’Ukraine, qui constituerait une « erreur colossale et fatale ». Commentant cette hypothèse, le président russe a rappelé que « la doctrine nucléaire de la Russie, le bon sens et notre expérience passée, montrent que nous réagissons systématiquement de manière symétrique à toute menace ». Il a prévenu que la riposte russe serait « très sévère et catastrophique, tant pour le régime néonazi que, malheureusement, pour l’Ukraine elle-même ». Et d’ajouter : « J’espère que nous n’en arriverons jamais à ce stade », soulignant ainsi le danger d’escalade.
Enfin, Poutine a réaffirmé que la Russie avait proposé à l’Ukraine de mettre fin aux hostilités. « J’étais prêt à rencontrer le dirigeant légitime du régime à Kiev, pour mettre un point final », a-t-il déclaré. Mais, a-t-il ajouté, « cette initiative a été bloquée par l’intervention de Boris Johnson, alors Premier ministre britannique, venu à Kiev « avec le soutien de l’administration Biden », pour dissuader les autorités ukrainiennes de signer un accord, dans le but d’infliger une défaite stratégique à la Russie. Ce dessein a eu pour conséquence directe la perte de nouveaux territoires par l’Ukraine », estime Poutine, et l’armée russe continue de progresser. Il a souligné que la Russie ne visait pas une reddition inconditionnelle de l’Ukraine, mais la « reconnaissance des réalités issues du rapport de force sur le terrain », en réponse à une question sur une éventuelle exigence de capitulation sans condition de Volodymyr Zelensky. Il a, par ailleurs, souligné que le conflit ukrainien obéit à une dynamique différente de celle qui prévaut au Moyen-Orient.

Présence du Premier ministre de la RCA, Félix Moloua

Le Moyen-Orient : appel à la retenue et défense des intérêts iraniens

Le conflit entre Israël et l’Iran a également été évoqué par Poutine. Il a mis en garde contre les déclarations de chefs d’Etat évoquant ouvertement l’élimination d’un dirigeant étranger. « Ce type de propos doit rester dans le registre rhétorique », a-t-il déclaré, appelant à la « retenue ». Selon lui, des solutions acceptables pouvaient être trouvées pour régler le conflit au Moyen-Orient. C’est ainsi qu’il a rappelé la position constante de la Russie, qui défend une sécurité régionale « assurée pour chaque pays sans nuire à celle des autres », indiquant que Moscou restait en contact régulier avec les deux parties et disposait de « quelques propositions » pour favoriser l’apaisement.
A cet effet, Poutine a fermement réfuté les accusations selon lesquelles la Russie ne serait pas un allié fiable de l’Iran, qualifiant de « provocateurs » ceux qui diffusent de telles informations, réagissant ainsi à des articles de médias occidentaux mettant en doute le soutien de Moscou à Téhéran, dans le contexte du conflit au Moyen-Orient. Sur ce sujet, il a assuré que ces campagnes « n’atteindraient pas leurs objectifs », en insistant plutôt sur la solidité des relations « amicales » entre la Russie et l’Iran, et en rappelant que Moscou défend les intérêts légitimes de Téhéran, notamment en matière de nucléaire civil, « par des actes et non par des paroles ». A ce titre, il a souligné que des spécialistes russes continuaient de travailler sur le site de la centrale nucléaire de Bouchehr. Cette présence, a-t-il précisé, se poursuit après des garanties de sécurité apportées aux techniciens russes par Benjamin Netanyahou et Donald Trump.

Vers un ordre mondial multipolaire : Le déclin du G7 et l’ascension des Brics

Au-delà des crises régionales, Poutine a articulé sa vision d’un « ordre mondial multipolaire », en insistant sur la nécessité d’un développement mondial équilibré, répondant aux aspirations du plus grand nombre de pays, où les Etats seraient capables de dialoguer et de trouver des solutions communes, plutôt que de servir les intérêts de quelques blocs ou alliances. Il a affirmé que les « dynamiques de croissance sont inévitables » et que la Russie ambitionne d’y contribuer avec une approche « civilisée ».

Sur cette même lancée, Poutine a particulièrement mis en avant le déclin de l’influence du G7 et la progression continue des Brics. Selon lui, la part du G7 dans l’économie mondiale « ne cesse de reculer », tandis que celle des Brics progresse, atteignant « désormais 40 % » contre 20 % auparavant. Ce basculement global est présenté comme un « processus objectif », indépendant des conflits armés, et s’inscrivant dans une tendance de fond. La présence du président indonésien Prabowo Subianto, justifiant son absence au sommet du G7 par un « engagement pris de longue date envers ce forum » (le Spief), vient étayer cette vision d’un monde en reconfiguration.
Evoquant les rapports de force internationaux, Poutine a également dénoncé le modèle de développement occidental, affirmant qu’aux Etats-unis, les richesses accumulées n’ont profité qu’à une élite. Le monde, selon lui, a désormais besoin d’un « nouveau modèle de développement affranchi des logiques néocoloniales ». Dans ce contexte, la Russie se dit prête à négocier avec les pays en perte de vitesse sur la scène mondiale, à condition qu’ils le souhaitent réellement, mais avertit que ceux qui s’obstinent à défendre une vision monopolistique et à préserver leurs leviers d’influence d’héritage colonial devront « assumer les conséquences de leur isolement ».
Dans ce message de fermeté et de confiance en l’avenir, la Russie, sous la direction de Poutine, semble déterminée à ne pas reculer, quitte à naviguer dans des eaux géopolitiques de plus en plus tumultueuses. Le défi pour la communauté internationale sera de trouver un équilibre entre la reconnaissance des réalités actuelles et la prévention d’une escalade incontrôlable.
Quel rôle la communauté internationale doit-elle jouer pour désamorcer les tensions et encourager un dialogue constructif, tel que Poutine semble parfois le suggérer ?

Prince Aristide Ngueukam et Éric Matane envoyés spéciaux St-Petersbourg