ÉDITORIAL : Anicet Ekane, le stratège incompris!

Par Prince Aristide Ngueukam

Prince Aristide Ngueukam, Directeur de Publication des médias FORUM LIBRE

Anicet Ekane a rendu l’âme. L’annonce de son décès ce 1er décembre 2025, alors qu’il était détenu au Secrétariat d’État à la Défense (SED) à Yaoundé, est un coup de massue. Pour ceux qui l’accusaient de tiédeur ou de connivence avec le pouvoir, cette mort en prison, dans la foulée d’une contestation électorale acharnée, est la preuve ultime de la profondeur de son engagement. Anicet Ekane n’était pas un traître ; il était un stratège, un incompris. Et le temps, hélas, vient de lui donner raison de la manière la plus cruelle.

Le Sceau du Combattant Historique

Le nom d’Anicet Ekane est indissociable de la lutte pour le multipartisme. Il fut un grand artisan de l’ouverture démocratique dans les années 90, un UPCiste dans l’âme qui a payé le prix fort. Arrêté, torturé et jeté en prison aux côtés d’autres figures emblématiques, il a inscrit son nom dans le marbre de l’histoire des libertés. Après la création du MANIDEM, ses décennies de lutte sans succès éclatant l’ont exposé à la suspicion. Accusé de pactiser avec le pouvoir, il encaissait les coups avec une sérénité déconcertante.
J’ai eu le privilège d’échanger avec lui sur ces accusations. Anicet Ekane en riait. Son regard était vif, son analyse, tranchante. Il me disait, avec ce mélange d’amertume et de lucidité : « Les Camerounais ne me connaissent pas. Ils pensent que je peux signer quel pacte sérieux avec ces gouvernants qui m’ont tout pris !… Le stratège que je suis attend toujours le bon moment pour sortir le grand jeu. »

Le Pari Final de la Contestation

Le « grand jeu » fut le scrutin du 12 octobre 2025. Beaucoup ont été surpris d’apprendre qu’il avait décidé d’investir Maurice Kamto à travers le MANIDEM. Mais après l’invalidation de cette candidature, il n’a pas lâché l’affaire. Il a rapidement réuni ses compagnons de lutte, dont son ami Djeukam Tchameni, pour soutenir la candidature d’Issa Tchiroma Bakary.
Sa dernière action, l’ultime preuve de son engagement inaltérable, fut de s’engager, après la proclamation des résultats donnant Paul Biya vainqueur, à contester ouvertement le scrutin et à appeler à la mobilisation générale des Camerounais. C’est pour cet acte de dissidence, qu’il sera accusé d’hostilité envers la patrie, de révolution, d’incitation à la révolte et d’appel à l’insurrection, après son interpellation le 24 octobre 2025, qu’il a été déporté au SED.

Le Martyr d’une Vie Sacrifiée

Malade, souffrant, privé un temps de ses appareils médicaux vitaux qui ne lui ont été restitués que tardivement, Anicet Ekane est mort au centre médical militaire de la gendarmerie nationale. Sa disparition ce 1er décembre 2025 n’est pas une simple coïncidence ; elle est l’épilogue douloureux d’une vie sacrifiée à la cause.
Il rejoint désormais le panthéon des martyrs de la lutte pour l’indépendance et la démocratie, aux côtés de ses pairs fondateurs et nationalistes de l’UPC : Um Nyobè, Ernest Ouandié, Osendé Afana et Roland Moumié…La mort d’Anicet Ekane est un signal d’alarme pour la nation. Elle exige non seulement la transparence, mais aussi un examen de conscience sur le coût humain de la répression politique.
Va et repose en paix, Grand Combattant. Ton nom est désormais inscrit en lettres d’or dans l’histoire de la lutte pour les libertés et la démocratie. À nos ancêtres, Sango Ekane.