Le temps du président:

Chronique d’une horloge arrêtée

Le président élu du Cameroun, SE Paul Biya

Bienvenue au Cameroun, où la science politique vient de s’enrichir d’un concept qui ferait passer la théorie de la relativité d’Einstein pour un simple calcul d’épicier : le temps du président ! Ici, les aiguilles ne tournent pas, elles hésitent.

Pendant que le reste de l’humanité s’épuise dans la dictature de l’immédiateté, de l’IA et de la 5G, le Cameroun vit sous le régime de l’éternité administrative. Un régime où l’inaction est élevée au rang d’art majeur et où le silence n’est pas une absence de communication, mais un programme de gouvernement.

Comment qualifier cette curiosité planétaire ? Inutile de consulter les manuels de sciences po ou de harceler les experts en plateau télé. L’inventeur du concept a eu l’élégance, pour une fois, de nous fournir lui-même le mode d’emploi. Son excellence Paul Biya, dans un élan de franchise qui restera gravé dans les annales, a qualifié son propre mal : l’inertie.

Au palais d’Etoudi, c’est devenu une doctrine d’Etat. On ne gouverne pas, on contemple le temps qui passe, en attendant qu’il passe tout seul.

Pas de Conseil de ministres depuis de 7 ans (sauf que ce n’est pas nouveau). Villégiatures itératives pudiquement baptisées « courts séjours privés en Europe ». Pas de Conseil de supérieur de la magistrature depuis 5 ans. Pas de Conseil de l’enseignement supérieur depuis 43 ans (le dernier date de 1982 par le président Ahmadou Ahidjo). Pas de Congrès de son propre parti, le Rdpc, depuis 14 ans. Près de 800 tracteurs dans la broussaille à Ebolowa, depuis 14 ans. Décès du Comice agropastoral…

Pour justifier ce scandale, les idéologues du « Renouveau » sont allés dans leur musée des erreurs trouver la parade ultime et en sont ressortis avec un nouveau totem : « Le temps du président », qui n’est certainement pas celui des hommes. Du coup, nous voici propulsés dans une théocratie temporelle. Paul Biya ne serait plus un élu, mais une divinité dont les desseins sont impénétrables.

A preuve, voilà plus de deux mois qu’il a été élu président de la République. Et depuis ? Rien. Le vide. Le remaniement ministériel reste vivement attendu , comme si le pays était une salle d’attente géante. A l’instar de la fin du monde décrite par la Bible, « nul ne connaît ni le jour ni l’heure ». C’est un miracle que seul le « père de la nation » peut opérer, quand son horloge mystique aura sonné.

Non ! Ce n’est pas la royauté : le trône présidentielle n’est pas une propriété privée acquise par droit divin, il y a 43 ans. Il s’agit bien d’un contrat de travail. Le président, qui est un salarié, n’est pas le propriétaire du temps ; il en est le locataire. Il est, pour le dire crûment, l’employé du peuple.

Le drame de ce « silence présentiel » est qu’il feint d’ignorer une vérité fondamentale : le temps du président appartient au peuple, qui est son patron. C’est ce dernier qui impose le rythme, parce que c’est lui qui subit les conséquences de la l’inertie. Le président n’est pas le maître des horloges ; il en est plutôt l’esclave. Son mandat est une mission de service public, et non une retraite dorée en mode pause prolongée.

En clair, le temps du président appartient aux citoyens. Et l’horloge, elle, n’attend pas.

PONE Pierre-Marie (PONUS)