RÉPRESSION CONTRE LES MOUVEMENTS INDÉPENDANTISTES AU CAMEROUN :

Clément W. Mbouendeu décrypte le Rapport de la Commission Mixte Franco-Camerounaise sur le rôle et l’engagement de la France dans la lutte contre les mouvements indépendantistes et d’opposition au Cameroun de 1945 à 1971. Éclairage sur le cas spécifique de Jean Mbouendé

Clément W Mbouendeu, Gardien de la mémoire du Patriarche Jean Mbouendé

En juillet 2022 à Yaoundé, le président français Emmanuel Macron annonçait la création d’une commission mixte franco-camerounaise sur le rôle et l’engagement de la France dans la lutte contre les mouvements indépendantistes et d’opposition au Cameroun de 1945 à 1971.
La famille Mbouendé, par l’entremise du gardien de la mémoire de Jean Mbouendé, en la personne de Clément W. MBOUENDEU va immédiatement saisir la balle au bon en préparant un mémoire retraçant le rôle joué par le nationaliste et ses partisans dans cette bataille, et les atrocités subies . Cette correspondance, qui sollicitait une reconnaissance de ces méfaits par la France Officielle et une juste réparation de sa part sera envoyée au président Macron le 03 mars 2023, par lettre recommandée, avec copies respectivement au président Paul Biya, à l’ambassade de France au Cameroun et au Secrétaire Général de l’ONU. Le même jour, les travaux de la commission sont lancés à Yaoundé.
Certains illustres médias, informés par cette démarche patriotique de la famille Mbouendé, vont porter la cause en relayant l’information au maximum. Il s’agit de Forum Libre, Forum Libre International, La Nouvelle Expression, Le Messager, la Radio et la Télévision Équinoxe, la radio et la télévision Balafon, Jmtv+ à Paris.
La communication a fait son effet. Un an après, la commission mixte entre en contact avec Clément W. MBOUENDEU et concorde avec lui pour une séance de travail le 22 mars 2024 sur Jean Mbouendé.
Le jour dit, la commission est chez Jean Mbouendé à Banka , conduite par le professeur Noumbissié Tchouké et le docteur Cyril Kenfack. Le travail, qui était prévu pour une journée, se poursuivra le 25 mars 2024 parce qu’il y’avait du grain à moudre, à travers témoignages et ouverture des archives privées de la famille, en présence d’une demi-dizaine des membres du Cercle des Élites Intérieures du Haut-Nkam et de Mbouendé Siewé André.
La commission partira pour continuer les investigations ailleurs, satisfaite par la qualité des échanges, hautement scientifiques.
Le 21 janvier 2025, la restitution du rapport a eu lieu au palais de l’Élysée en France, suivie d’une séance similaire au palais de l’Unité à Yaoundé le 28 janvier 2025.
Le rapport a alors tenu compte du rôle joué par Jean Mbouendé en tant que syndicaliste, leader du spp et de l’upc dans la subdivision de Bafang pour la mobilisation anticolonialiste, son rôle pour la réunification du Cameroun et les atrocités qu’il a subies en tant qu’acteur de premier plan.

Décryptage du rapport concernant Jean Mbouendé

1- À la page 16, la commission dit merci à la famille Mbouendé pour le temoignage du gardien de la mémoire et de la mise à sa disposition des archives privées de Jean Mbouendé, soit 43 documents parmi lesquels ceux retraçant les atrocités subies par certains de ses camarades de lutte.

2- Les pionniers et les relais.
Les pages 122 et 123 parlent de l’implantation de l’Upc en pays bamiléké en ces termes :
« Si l’upc réussit à s’implanter, c’est parce qu’elle a bénéficié de l’effort des pionniers dans la contestation de l’ordre colonial, et d’initiatives de nature syndicale ou associative. Il y’a entre autres Jean Mbouendé qui rejoint l’upc, entraînant avec lui les membres de son syndicat, celui des petits planteurs. Il y’a aussi Djoumessi Mathias qui rejoint également l’upc fin 1948, avec le Kumzse qu’il a fondé comme déjà précédemment évoqué.
Les statuts du syndicat des Petits Planteurs(spp) sont déposés en mars 1946 par Saitapoum Happi, Jean Mbouendé de Bafang et Tétanfak Laurent de Dschang dans une région marquée par une sociologie des travailleurs spécifique, entre salariés agricoles et markets boys…Les leaders du spp récemment créé et encadrés par Ruben Um Nyobé et Charles Assalé, deux personnalités syndicales au niveau national de l’union des syndicats Confédérés du Cameroun(uscc-cgt), Jean Baptiste Saitapoum Happi et Jean Mbouendé prennent les rênes du premier syndicat de la région bamiléké à Bafang. Les pressions administratives très fortes ont bientôt raison de l’engagement de Saitapoum Happi qui quitte ses fonctions de secrétaire général après s’être largement consacré à la mise en place du syndicat. Cette démission, loin d’entamer la détermination des autres responsables, la renforce à l’instar de Jean Mbouendé qui maintient son engagement et se consacre à la tête du syndicat à mobiliser les populations contre les pratiques coloniales.
La première section de l’upc de l’ouest est ainsi créée à Bafang le 30 juin 1948. Elle est donc dirigée par Jean Mbouendé, ancien cadre du spp, qui vient de passer plusieurs mois en prison pour activités syndicales ( du 01er septembre 1947 au 15 avril 1948). Les membres du spp adhérent en nombre au mouvement politique. Selon Jean Mbouendé, ils n’établissent pas une véritable distinction entre le syndicat et le mouvement politique naissant , car le nouveau parti, autant que le spp, ont pour but de défendre leurs droits. Faute de pouvoir trouver un remplaçant à la tête du syndicat, celui-ci est dissous au profit du nouveau mouvement qui porte tous les espoirs. En suivant les réseaux mis en place pour le syndicat, Jean Mbouendé implante l’upc dans toute la subdivision de Bafang. En parcourant les villages et les quartiers, son équipe collecte les plaintes des populations et encourage celles-ci à rédiger les pétitions à adresser à l’onu. Sur le terrain en dehors de l’administration coloniale qui multiplie les obstacles à l’évolution de l’upc, Jean Mbouendé est confronté à l’hostilité du mouvement pro-francais de l’union bamiléké dirigé par Nintcheu Tientcheu , un natif de Bafang…. »
Il faut corriger ici pour dire que :
– Le premier comité central(à l’époque on ne parlait pas de section) de l’upc au Cameroun est implanté à Banka-Bafang le 30 juin 1948, immédiatement après la légalisation du parti le même mois ;
– L’union Bamiléké était dirigée par le chef Bandjoun Kamga Joseph, Nintcheu Tientcheu,, prince Banka n’était que le secrétaire general ;
Il faut ajouter ceci pour bien comprendre :
– Jean Mbouendé mène seul la lutte contre le pouvoir colonial qui interdisait la vulgarisation de la caféier-culture, de 1934 à 1946. La nouvelle de ce combat va se propager au niveau national et cest Saitapoum Happi, prince Bana et frère d’une des épouse de Jean Mbouendé, la princesse Makamdoum, qui servira d’éclaireur pour conduire Charles Assalé, secrétaire général de l’uscc-cgt à Bafang pour voir Jean Mbouendé, et c’est celui-ci qui va conseiller à Jean Mbouendé de créer un syndicat pour défendre la profession, et de l’affilier à l’uscc-cgt. Le principe est acquis, le syndicat est créé avec Jean Mbouendé, non scolarisé, comme président et Saitapoum, intellectuel prendra le secrétariat général. Il sera remplacé par Nitcheu Paul après sa démission ;
– L’incarcération arbitraire de Jean Mbouendé du 01er septembre 1947 au 15 avril 1948 lui a coûté des pertes enormes et multiples :
• sa mère Anne Monga et son premier enfant garçon Joseph sont morts d’avc suite à cette situation ;
• La perte dun cheptel de près de 1 000 bœufs et la disparition des stocks de kola disséminés dans les marchés du grand nord.
– Devenu secrétaire général de l’uscc-cgt en 1947 et étant allé à Bafang lui-même s’enquérir du cas d’arrestation de Jean Mbouendé en septembre 1947, Um Nyobé porte l’affaire au niveau international au point où la Cgt dépêche depuis Paris un avocat , maître Blond Fermier pour venir défendre Jean Mbouendé au Cameroun.
C’est donc ce Jean Mbouendé qui introduit Um Nyobé auprès de Djoumessi Mathias qui rallie son association le Kumzse à l’upc avant d’abandonner le combat plus tard, retourné par l’administration.
• En 1950, un prêt de 4 000 000 francs métropolitains est accordé à Jean Mbouendé par une banque française située à Clermont-Ferrand en France. L’argent arrive au Camerou et le Haut-Commissaire, Soucadeaux, refuse de lui délivrer une autorisation d’hypothèque sous prétexte que Jean Mbouendé est subversif.
L’argent est retourné en France, mais entre temps, Jean Mbouendé avait versé un fond de souscription et commencé aussi à rembourser.
La France coloniale va confisquer même ces avances et ce n’est que la résolution n°1334 du conseil de tutelle de l’onu du 15 juillet 1955, saisi par Jean Mbouendé, qui va contraindre la métropole à rembourser. 30% sera envoyé à Jean Mbouendé sans intérês de retard, 70% restant attendu jusqu’à ce jour.
3- La note de bas de page n°32 en page 174 fait référence à la biographie de Jean Mbouendé « Pour la Patrie, Contre l’Arbitraire » page 50 pour confirmer l’incendie des drapeaux de l’onu ramènés de New-York et stockés au siège de l’upc à Douala en 1955.

4- Les évènements de mai 1955
Le rapport dit ceci à la page 184 :
« …Le 29 mai, le scénario se répète à Bafang : les anti-upecistes, chefs et notables mettent à sac les maisons de Jean Mbouendé, président de section upc et syndicaliste : informé par d’autres chefs, ce dernier s’était déjà réfugié dans ses plantations à Kékem ».
Ici on renvoie à la note de bas de page n°118 qui fait référence à l’autobiographie de Jean Mbouendé « Pour la Patrie, Contre l’arbitraire »pages 51 à 56 et à l’entretien avec Clément Wensileudjam, fils de Jean Mbouendé, réalisé par le volet « Recherche » de la commission le 22 mars 2024.
On peut aussi préciser que :
– les chefs Babouantou Moungoué Michel et Banfeko Datchoua Marcel sont ceux qui ont inspiré Jean Mbouendé de s’éclipser ;
– Le chef Banka Tientcheu Michel a organisé un stratagème pour éloigner les ravisseur et c’est son fils Nitcheu qui a fait échec à la démarche ;
– Les chefs Bangangté Njike, Bangou, Kemayou Bernard et Bandenkop, Fezeu ont renoncé de prendre part à la destruction du patrimoine Mbouendé. Les deux derniers, encore jeunes sont devenus la risée du pouvoir colonial depuis cette date et cela a eu pour conséquence de les contraindre à l’exil.
– Les maisons de certains proches et camarades de lutte de Jean Mbouende ont également été détruites ce jour fatidique. : Youmbi Michel qui va mourir en exil au Nigeria après, Nitcheu Paul, Nitcheu Bernard …. Pour ne citer qu’eux.

5- La chasse aux sorcières après les évènements de mai 1955
La page 199 du rapport dit ceci :
« …..Face à ces traques, deux options s’ouvrent aux militants nationalistes : entrer et survivre au maquis ou fuir vers le Cameroun sous-tutelle britannique . Pour ce faire, ils et elles développent diverses techniques de dissimulation, aidé•es par leurs réseaux familiaux et militants. En région bamiléké, le syndicaliste Jean Mbouendé, menacé physiquement, se reclut dans ses plantations à 20km de Bafang, aidé par les agents de liaison, sa famille et des gardes, alors que son domicile à été pillé et incendié….. »
Le rapport fait référence à la note de bas de page N°272 page 199 qui dit ceci :
« Mbouendé Jean, Pour la Patrie, Contre l’Arbitraire….op. cit., p. 61-70 ; Archives Régionales de l’Ouest (ARO), 1 AA 508, Haut-Nkam, tableau comptable intitulé « Terrorisme, pertes humaines et matérielles »(1958-1970). Démonster-Ferdinand Kouekam évoque la somme de 8 460 000 frans de préjudices faits à Jean Mbouendé . Kouekam Démonster-Ferdinand (2016), « Les troubles sociopolitiques et violences dans la localité de Bafang(1946-1971) », Mémoire de Master en histoire , Université de Douala, Cameroun.
Il conviendrait d’ajouter ceci pour une meilleure compréhension :
– Avant de prendre la décision de se replier dans ses exploitations agricoles de Kékem pour se frayer un abri dans un tronc de baobab mort, Jean Mbouendé va se rendre d’abord à Douala chez Kaminy Anatole . La traque va s’ntensifier et un de ses proches va informer le chef de région du Littoral sur sa présence et ses moindres gestes. Étant au courant, Jean Mbouendé va décider de rentrer dans ses plantations pour continuer à s’occuper de sa grande famille, renonçant ainsi à l’exil que lui conseillaient certains de ses camarades . Le même proche va informer l’autorité sur la date retenue et l’heure de son voyage retour en train. Monkam Clément va subtilement enlever Jean Mbouendé de New-Bell pour aller le cacher chez Léopold Moumée Etia à Deido en décalant le voyage d’un jour. C’est alors que sûr de ce que l’animal était déjà dans l’étau, le pouvoir colonial va ordonner l’arrestation du train en plein milieu du pont du Wouri pour une fouille systématique qui va durer des heures, malheureusement pour lui, Jean Mbouendé n’y était pas et c’est après qu’on le fera traverser nuitamment le pont, couché derrière un camion conduit par Jean Yamdjeu pour Bonaberi. Et de là-bas il trouvera une occasion.pour Kékem ;
– Concernant les pertes, il est important de noter que ses détracteurs avaient signalé sa présence dans ses plantations et le pouvoir colonial a mis de forts moyens à leur disposition pour le traquer. Quand ils n’ont pas pu, ils ont raconté, pour assurément se soustraire aux menaces, que lorsqu’on aperçoit Jean Mbouendé, il se transporme en plants de café. L’autorité a donc dépêché des camions entiers remplis de militaires en 1959 pour venir abattre les plants de café, dans l’espoir de l’assassiner mystiquement, mais en vain. 11 000 plants de café âgés de 08 ans et en pleine production sont ainsi détruites. Cela pourrait avoir un lien avec la somme de 8 460 000 francs évoquée dans les recherches de la commission.
– Il faut préciser qu’à l’époque 1FCFA valait 2FF.
Deux de ses épouses sont transportées manu-militari pour la prison de Maroua Salack. Une d’entre elle, Moukam, disparaîtra à jamais.

6- Vie au maquis

Le rapport dit à la page 229 ce qui suit :
« …..Certains leaders syndicaux sont contraints à prendre le maquis, à l’image d’un des fondateurs du syndicat des Petits Planteurs et membre de l’upc, Jean Mbouendé, déjà victime de poursuites judiciaires avant 1955. Et qui selon son témoignage et celui de ses proches, reste caché cinq ans durant dans ses plantations tout en effectuant les voyages clandestins à travers la zone frontalière vers Kumba… ».
Ici il faut ajouter qu’il allait à pieds à Kumba pour participer aux séances du comité directeur où il siégeait toujours comme assesseur. Il venait toujours avec les subsides provenant des souscriptions. Le dernier voyage a eu lieu en février 1956, marquant le début des violences atroces.
Le rapport fait référence pour cette partie aux notes de bas de page respectives :
N°236 page 229 :
– « Archives régionales de l’ouest (ARO), Lettre du chef de la subdivision de Bafoussam R. Delaroziere au chef de la région bamiléké, Bafoussam, 10 juillet 1947, contenant le compte-rendu du 03 juillet 1947 sur la création du syndicat des Petits Planteurs ; Mbouendé Jean(1999), Pour la Patrie, Contre l’Arbitraire. Autobiographie Bafang, éditée par l’auteur ; entretien avec Clément Wensileudjam, réalisé par le volet « Recherche » de la commission le 22 mars 2024.
– N°237 page 229 :
« Fin mai 1960, il sort de son refuge et demande à profiter de l’amnistie, il se rend à Douala et obtient un laissez-passer pour revenir à Bafang, Archives privées de Jean Mbouendé, attestation du ministre d’État chargé de l’Intérieur, Njoya Arouna, 01er Juin 1960
Voici ce qui s’est effectivement passé :

sortie du maquis et pacification de la subdivision de bafang
Le 01er janvier 1960, depuis son refuge, Jean Mbouendé apprend que le Cameroun est indépendant.
Malgré cette actualité, le terrorisme continue de faire des ravages. Les règlements de compte aussi. Les anciennes rancunes font couler beaucoup de sang. Le pouvoir colonial ayant réussi à infiltrer le mouvement avec de faux nationalistes et d’autres nationalistes retournés dont le rôle était de commettre les exactions pour mettre sur le dos de l’upc en vue de la noircir.
L’administration française qui perdait en quelque sorte le Cameroun, un de ses champs d’exploitation, est mécontente.
Dans la subdivision de Bafang, l’autorité continuait d’être tenue par un administrateur colonial nommé Dermont.
Dès qu’il lui est revenu qu’au niveau de Douala, l’autorité avait changé de mains et que le préfet, le sous-préfet et le commissaire de police notamment étaient Camerounais, Jean Mbouendé a compris qu’il était temps qu’il quitte le maquis.
Il ne pouvait pas pour des raisons évidentes se rendre à Bafang où l’administrateur local était encore un expatrié.
Ses amis et camarades de Douala, à la suite des mesures d’amnistie générale et inconditionnelle prises par le président Ahidjo, envoyèrent une de ses épouses, Kadji Elisabeth dans son refuge pour l’informer et éventuellement s’accorder avec lui sur la date de sa sortie, s’appuyant sur cet acte présidentiel.
La date du 25 mai 1960 est retenue et ce jour là, ils envoyèrent une voiture à Kékem pour le transporter.
Son chauffeur était Simon Ngankam, beau-fils du nationaliste. Il était alors le seul courageux à accepter de jouer ce rôle.
Pour éviter d’éventuelles tracasseries, il est arrivé vers 5 heures du matin.
Jean Mbouendé sera enveloppé dans une grande couverture pour simuler une évacuation sanitaire.
Au bout d’environ quatre heure de voyage, « l’ambulance de circonstance » arrivera à Bonabéri et le chauffeur, par précaution, n’a pas voulu franchir le pont sur le Wouri.
Opportunément, un autre chauffeur de passage, va reconnaître le nationaliste et se réjouir de ces retrouvailles. Il va accepter de le conduire bénévolement à New-bell chez Kaminy Anatole, refusant ainsi toute contrepartie.
À New-Bell, Jean Mbouendé sera reçu chaleureusement par son ami Monkam Clément, collaborateur de Kaminy Anatole dans la Société Générale du Cameroun.
C’est d’ailleurs lui qui va informer par voie de téléphone le commissaire spécial, Kéou François, ainsi que certains autres amis et sympathisants du nationaliste de la présence de Jean Mbouendé à Douala.
New-bell va ainsi faire le plein d’œuf et le commissaire spécial va se joindre à la foule en début d’après-midi.
Il va alors chaudement saluer le nationaliste et va le conduire à Bonanjo sous bonne escorte de véhicules appartenant aux commerçants et hommes d’affaires ayant fermé sociétés et boutiques pour se joindre à la fête.
Le commissaire Kéou présentera Jean Mbouendé au préfet du wouri, Nséké
Guillaume qui s’est étonné de ce qu’il avait disparu aussi longtemps. Jean
Mbouendé lui a fait valoir qu’il avait disparu parce qu’il attendait l’indépendance du Cameroun et que maintenant qu’il se rendait compte que les Camerounais avaient pris le contrôle de la situation, il a estimé qu’il pouvait se sentir tranquille parce que dirigé par les compatriotes.
Le préfet l’a longuement félicité et a demandé au commissaire Kéou de lui établir une carte nationale d’identité ainsi qu’une carte d’indemnisation,. Les faits ont suivi et la délégation est retournée à New-bell en fin d’après-midi sous les auspices des populations venues encore plus nombreuses.
La nuit tombée, Jean Mbouendé sera insidieusement conduit à l’hôtel Akwa Palace où une chambre lui avait été réservée par son entourage. Y étant la clé avait disparu, ses amis, qui avaient flairé un danger, ayant pris les dispositions pour cela. Jean Mbouendé va finalement dormir à New-bell dans une case banale en nattes.
En effet, aux environs de 19 heures, l’administrateur colonial expatrié de Bafang, Dermont, en provenance de yaoundé où il était pour les formalités relatives à son passeport liées à son retour définitif en France va débarquer à Douala où il sera mis au courant de la présence du nationaliste. Il décidera donc de faire sa « connaissance ».
Rendu à New-bell chez Anatole, il va rencontrer le nationaliste et la conversation suivante va meubler cette rencontre :
– C’est bien vous monsieur Jean Mbouendé ?
– Oui c’est bien moi ;
– Je voudrais qu’on se retire pour un entretien en tête-à-tête.
L’entourage de Jean Mbouendé va s’y opposer farouchement et l’entretien va se poursuivre en ces termes :
– Quand est-ce que vous comptez rentrer à Bafang ?
– Je n’ai aucune idée. Tout dépendra de mes amis qui m’entourent là.
– Dès votre retour, dites à vos chefs traditionnels de ne plus vendre leur filles aux enchères : c’est la raison pour laquelle beaucoup de jeunes gens ont opté pour le terrorisme.
– C’est faux monsieur le sous-préfet. Au contraire, nos mœurs recommandent plutôt aux chefs de donner gratuitement leurs filles en mariage, sans prendre aucune dot.
La conversation va ainsi prendre fin. Et il va s’en aller.
C’est donc après cet échange que l’entourage de Jean Mbouendé, qui avait peut-être eu vent d’un danger, va rapidement aller récupérer ses affaires à l’hôtel et cacher la clé de la chambre.
Le 27 mai 1960, soit 5 ans jour pour jour après sa disparition, Jean Mbouendé sera conduit à Bafang par une forte délégation( 15 voitures de tourisme)
Il était urgent que les populations de Bafang sachent qu’il était redevenu un homme libre.
Il faut dire que préalablement au jour où on l’amène à Bafang, le président Ahidjo y avait envoyé 300 soldats de la communauté française venus du Congo-Braza, pour déloger les gens du maquis. Ils ont passé plus de trois mois à chercher des gens à déloger, il n’en ont pas trouvé.

Retour à Douala

Après la présentation de Jean Mbouendé aux populations et autorités de Bafang et pendant le tour de ville du 27 mai 1960, un élément de l’armée coloniale d’origine algérienne va souffler au nationaliste de s’abstenir de passer la nuit dans la ville pour se soustraire à un complot d’assassinat.
La délégation venue l’accompagner va donc rebrousser chemin après cette information. Elle va passer la nuit à Nkongsamba à la demande du maire de cette ville, le prince bazou Daniel Kémadjou, pour marquer sa satisfaction d’avoir revu Jean Mbouendé.
Il va solliciter et obtenir du préfet du Moungo, la levée du couvre-feu pour permettre aux patriotes du coin de venir le saluer.
Ils furent informés et beaucoup vont suspendre leurs activités pour venir participer à la fête à l’hôtel du Moungo.
C’est ici qu’il passa également la nuit après des cérémonies riches en couleurs.
Le lendemain 28 mai 1960, le périple va continuer sur Douala avec un arrêt improvisé à Mbanga.
Ici le sous-préfet Édimo Époh, vieille connaissance du nationaliste va arrêter le cortège pour l’amener à sa résidence pour témoigner aussi sa joie de le revoir.
Cette pause va durer environs deux heures et le cap final est mis sur Douala.
Trois jours après son retour dans la capitale du Littoral, Kanga Victor alors ministre de l’économie va appeler de Yaoundé pour dire qu’on le fasse monter à la capitale parce que le président Ahidjo a besoin de le voir. Il va ordonner à son épouse présente à Douala en ce moment de lui donner les moyens pour voyager en train.
Ses amis vont s’opposer à cette offre et vont plutôt mettre à sa disposition un billet d’avion.
Le voyage va bien se dérouler le 31 mai 1960 et le ministre va envoyer le chercher à l’aéroport et le conduire à l’hôtel des députés où lui-même vivait avec sa famille. Il va y passer la nuit et le lendemain 01er juin 1960, il va conduire Jean Mbouendé auprès du président Ahidjo.
Il faut dire qu’avant de rencontrer le chef de l’état, Jean Mbouendé avait la veille écrit une lettre aux députés du groupe du front populaire pour l’unité et la paix sollicitant :
– Le retrait des troupes françaises
– La suppression de l’auto-défense et le retrait provisoire de toutes les armes que détiennent les civils.
– Le remplacement des troupes françaises et de l’auto-défense par les éléments de l’armée camerounaise.
– Le remplacement de tous les préfets et sous-préfets par des fonctionnaires camerounais aptes et intègres.
Points devant selon lui, sils étaient satisfaits, faire renaître une réelle détente dans le département bamiléké.
Enfin il va dire merci à ces élus qui ont exigé et obtenu du pouvoir l’amnistie totale et inconditionnelle, toutefois il va leur suggérer de demander une prorogation à une durée au-delà d’un mois.

Entretien avec le président Ahidjo.
Le 01er juin 1960, le président Ahidjo reçoit Jean Mbouendé dans une grande allégresse.
Il s’est étonné de la manière dont il avait disparu. Il a ainsi demandé où il avait pu être pour qu’on n’ait pas pu le voir.
Jean Mbouendé lui a simplement répondu qu’il était dans ses exploitations agricoles à Kékem et qu’une fois installé, il n’en est ressorti que trois fois pour participer aux réunions du comité directeur de L’upc à Kumba et qu’en dehors de ces fois là, il est resté dans ses plantations.
Il lui a également dit qu’il effectuait tous ces déplacements à pieds. Et que s’il pouvait le voir heureux, c’est parce qu’il a appris que l’indépendance est acquise et que les Camerounais ont pris le relais aussi bien à Douala qu’à Yaoundé où il le trouve à la tête de l’État.
Le président Ahidjo lui a dit que selon les informations en sa possession, les gens à Bafang refusaient de sortir du maquis tant qu’ils n’auraient pas eu la certitude que Jean Mbouendé était en liberté et qu’il ne leur en aurait pas donné le feu vert.
Il a donc instruit le ministre Kanga de prendre les dispositions pour informer les populations de ce que Jean Mbouendé était sain et sauf, parce que pour les gens au niveau de Bafang, l’indice qui pouvait montrer qu’il y avait l’indépendance, c’était sa présence.
Le président va donc confier à Jean Mbouendé la mission de pacifier Bafang parce qu’il estimait que les 300 militaires qu’il y avait envoyés étaient dans l’incapacité de le faire.
Jean Mbouendé lui a remis copie de la lettre adressée aux députés avec les propositions allant dans le sens de la décrispation du climat social.
Il lui a également répondu qu’il ne voyait pas comment il pouvait rentrer à Bafang sur le coup parce ses maisons étaient encore en ruines, entièrement dévastées par le pouvoir colonial le 29 mai 1955.
Le chef de l’État a immédiatement instruit le ministre Kanga de le conduire chez le ministre d’État chargé de l’intérieur, Arouna Njoya qui a dressé une attestation indiquant que Jean Mbouendé était sorti du maquis et était dorénavant revenu à la vie normale et qu’il ne devait en aucun cas être inquiété par les autorités civiles ou militaires.
C’est par le biais de cette attestation que le premier-ministre Charles Assalé a également délivré un sauf-conduit et donné les instructions à l’autorité de Bafang pour qu’un logement administratif soit affecté au nationaliste.
Jean Mbouendé prend donc congé de Yaoundé et retourne à Douala en vue de préparer le grand retour à Bafang. Il rentre effectivement et pacifie le département sans violence, profitant de son entregent exceptionnel.

7-Réunification du Cameroun
La page 554 du rapport dit ceci :
« ….. Les ralliés upecistes comme Jean Mbouendé se retrouvent ainsi à financer , en partie, le Kndp pour cette réunification conçue par les autorités françaises… ».
La note de bas de page n°524 de la page 544 vient en appui pour dire ceci :
« Archives privées de Jean Mbouendé, contributions collectées par Mbouendé en faveur du Kndp, 1960-1961.
La note contredit déjà le texte qui parle de financement du Kndp par Jean Mbouendé alors qu’il s’agit d’argent collecté aux populations fraîchement sorties du maquis.
Voici la réalité :
L’idée de la réunification est évoquée pour la première fois par l’upc dès sa création en 1948, et dans l’ordre, elle devait intervenir avant l’indépendance.
Mais le pouvoir colonial va l’inverser, ce qui est une source de la crise anglophone aujourd’hui et c’est ce que redoutait l’upc.
Fontcha avait créé en 1955 le KNDP (Kameroun National Democratic Party) et a commencé à se battre avec Ndeh Ntumazah, chef du One Kamerun pour la réunification du Cameroun.
La présence de certains leaders upcistes en exil au Cameroun Occidental va créer une collusion opportuniste dans ce sens.
Ce qui n’était pas du tout du goût de l’administration anglaise qui ne voulait pas de cet objectif. C’est pourquoi elle va forcer un nouvel exil pour ces upcistes hors du Cameroun.
Après l’avènement de l’indépendance du Cameroun français en 1960, Fontcha va accélérer la lutte pour la réunification et pour la mener à bon escient, il avait besoin de subsides, ce qu’il n’avait pas dans son environnement immédiat.
Il va donc se tourner vers des alliés de la cause au Cameroun francais..
Jean Mbouendé est ainsi saisi pour coordonner la campagne de collecte dans la subdivision de Bafang.
L’organisation est donc mise sur pied par l’autorité et le nationaliste est secondé par Weladji Laurent comme secrétaire.
Les carnets de reçus sont également mis à disposition pour enregistrer les contributions pour cette cause et la caravane va sillonner tous les villages de l’actuel département du Haut-Nkam.
Jean Mbouendé va recruter les jeunes pour l’aider à remplir les carnets.
Bilan de la campagne: Fcfa 500 000 remis à Fontcha à Loum le 19 décembre 1960 et Fcfa 200 000 remis à son représentant, l’honorable Sam Mofor à Bafang les 22 et 29 janvier 1961, soit au total FCFA 700 000.
Le reliquat de la cagnotte, FCFA 70160 est remis à l’adjoint préfectoral du Haut-Nkam le 04 mai 1961 contre reçu, après audit des comptes.
Viennent alors les élections municipales d’avril 1961, les populations, à l’aise avec Jean Mbouendé exigent qu’il pose sa candidature.
Il finit par accepter et devient le premier maire élu de la commune de plein exercice de Bafang, sous la bannière de l’Uc, ville à laquelle il donnera une âme, essayant ainsi à sa manière de relever le standard de vie des populations, après l’indépendance et la réunification, trois objectifs nobles de l’upc.
Mais le préfet de l’époque, Obam Mfou’ou Jérémie, va chercher à composer avec Jean Mbouende dans la distraction des fonds de la commune. Face au refus catégorique du nationaliste, qui argue que le budget communal a des objectifs sociaux qu’il faut satisfaire, l’autorité avec ses soutiens deviendra une pesanteur pour la commune et une menace pour le nationaliste.
Le président Ahidjo, informé, sera obligé d’affecter le préfet à Douala comme secrétaire général d’inspection fédérale d’administration, une sorte de promotion au rabais. Et de Douala le préfet Obam, outré, va avec son frère Mfou’ou Nvondo, commissaire, fabriquer une fausse affaire de financement du terrorisme en disant d’un prêt que Jean Mbouende avait obtenu de la banque de développement à Dschang et qui a financé ses activités agricoles sous le contrôle de la banque, que le nationaliste avait plutôt remis cet argent à Ernest Ouandié.
Le maire est donc arrêté le 16 juillet 1965 et conduit à la Bmm de Nkongsamba où à travers l’épreuve de la balançoire, on va tenter d’obtenir son aveu. Mais c’est vain. il passera 07 mois dans les Bmm (Nkongsamba, Douala et Yaoundé) avec un dossier manifestement vide.
On l’enverra après et sans jugement au Centre de Rééducation Civique de Mantoum où il passera 04 ans et demi, sans aucune charge retenue contre lui.
Par arrêté ministériel, il est liberé le 31 décembre 1969.
06 mois après, toujours dans le cadre de l’affaire Ouandié, il est encore arrêté suivant les mêmes fausses traces et subira les tortures les plus humiliantes.
Il sera innocenté le 31 décembre 1970.
Concernant sa concession réduite en cendres le 29 mai 1955, le président Ahidjo avait instruit le premier ministre Charles Assalé en 1960 après l’entretien avec Jean Mbouendé de faire évaluer les pertes subies par le nationaliste.
La première autorité camerounaise envoyée à Bafang, Meilo, l’avait fait et envoyé à Yaoundé. Le montant était de 7 000 000 FCFA soit 14 000 000 FF sans intérêts de retard(05 ans en 1960).
Dans une confidence reçue par Jean Mbouendé en 1970, le ministre Kanga lui dira que la France avait effectivement envoyé à Yaoundé en 1960, la somme de 70 000 000 FF soit 35 000 000 Fcfa pour indemniser la concession de Jean Mbouendé réduite par ses forces en cendres.
Le nationaliste n’a jamais reçu un radis, ni sa famille. Ahidjo était président et Charles Onana Awana était ministre des finances.
8- Les pages 900, 916 et 921 parlent de Jean Mbouendé et de son ouvrage autobiographique comme références des thèses et mémoires
9- En termes d’index des principaux lieux, on parle de Mbouendé en renvoyant aux pages 238 351 352, 379, 417, 531, ce qui semble être une erreur.
10- La page 1017 parle des sources orales exploitées par la commission en mentionnant ceci : « Mbouendé Clément, volet « Recherche » de la commission , Bafoussam le 22 mars 2024» au lieu de : « Wensileudjam Mbouendeu Clément, volet « Recherche » de la commission, Bafang, le 22 mars 2024 »

Conclusion

Jean Mbouendé était un acteur historique transversal, qui est entré en politique riche et a utilisé sa richesse et son entregent pour la défense des couches les plus vulnérables.
Le volet « Recherche » de la commission était à Banka-Bafang et a touché du doigt la réalité. C’est pourquoi le docteur Cyril Kenfack, qui avait juste une connaissance parcellaire de Jean Mbouendé avant cette rencontre va conclure :
« Jean Mbouende est une figure syndico-politique emblématique, énigmatique et charismatique au vu de son parcours.
Jusqu’à présent, sa personnalité a fait l’objet de nombreux écrits académiques ou livresques. Et il fera toujours l’objet d’étude et de recherche car il a mené une vie qui tourne autour du syndicalisme, de la politique, de l’économie, de la tradition et autres.
Il a une multitude de facettes et attire toujours la curiosité de toute personne qui s’intéresse à lui.
Il a su faire preuve de détermination, de réalisme, d’abnégation et autres ».

Quant au rapport global, il ne peut pas être parfait comme toute œuvre humaine, mais peut être une base de travail pour la perfection.
Le sexe et la couleur des historiens ne devraient pas être des critères pour juger un travail, mais le contenu du travail. Respecte-t’il la démarche scientique ? Juste une réponse cartésienne pourrait faire l’affaire.
Le rapport parle par exemple plutôt de l’utilisation des cartouches incendiaires pour terroriser les populations, c’est déjà un pas, aux autres historiens de démontrer scientifiquement que c’était du Napalm comme cela semble avoir été.

On pourrait également déplorer l’obstruction de la partie camerounaise qui à partir de la loi sur les archives de 2024, a empêché d’utiliser les archives de 1964 à 1971; et la fermeture de certains centres de dépôt d’archives.
SI le travail est mauvais, ce qui n’est pas forcément le cas, il faudrait retenir qu’à partir du mensonge, on.peut retrouver la vérité et savoir surtout que la lumière ne brille véritablement que dans l’ombre.
EN DEFINITIVE, LA France OFFICIELLE ET L’ÉTAT DU CAMEROUN ONT EU LE COURAGE D’ABORDER PUBLIQUEMENT CE SUJET SENSIBLE, CE QU’IL CONVIENT DE SALUER.
LE RAPPORT LES CULPABILISE ASSURÉMENT, ILS SAVENT DONC CE QUI RESTE À FAIRE POUR UNE APOTHÉOSE DÉCRISPANTE.

Clément W. MBOUENDEU
Gardien de la Mémoire de Jean Mbouendé