JEAN MBOUENDÉ : Déjà 20 ans que le patriarche et nationaliste camerounais nous a quitté…
Décédé le 16 juillet 2004 à Banka,dans le département du Haut-Nkam, à l’âge de 114 ans, le patriarche a vécu sur trois siècles et deux millénaires. Retour sur la vie de cet acteur historique transversal !
Jean MBOUENDÉ(16 juillet 2004-16 juillet 2024): Aux grands hommes, la patrie reconnaissante!
Le 07 août 2004, le chef de l’État, Son Excellence Monsieur Paul Biya décrétait les obsèques officielles en faveur de Jean Mbouendé, décédé le 16 juillet 2004 à l’âge de 114 ans, sans agitation, ayant vécu sur trois siècles et deux millénaires. Ces obsèques étaient présidées par le préfet du Haut-Nkam, Monsieur Eweck Raphaël, porteur de la lettre de condoléances du chef de l’État à la famille Mbouendé, dans laquelle il présentait le défunt comme ancien syndicaliste, grand notable du Haut-Nkam, patriote engagé, loyal vis-à-vis des institutions de la république, patriarche respecté et vénéré.
Il l’élevait aussi à la dignité de Commandeur du Mérite Camerounais à titre posthume.
Jean MBOUENDÉ :Tout un monument pour les générations…
Le Cercle des Élites Intérieures du Haut-Nkam avant cela, avait érigé un monument en son honneur.
Plusieurs personnalités politiques de tous bords, religieuses et traditionnelles ont pris part à ces cérémonies d’obsèques, ainsi qu’une masse grandiose et variée des populations.
Jean Mbouendé était chrétien catholique, mais la communauté protestante du Haut-Nkam à travers le révérend père Kontchou a tenu à s’associer à l’évènement à travers une messe œcuménique concélébrée la veille avec l’abbé Jean Baptiste Tchakoua.
Le lendemain, une cohorte de 12 prêtres, conduite par l’abbé Ngamo Lambert, a célébré le culte catholique.
L’élite du Haut-Nkam s’est fortement mobilisée autour des présidents Tientcheu Jean Jules et Ekeu pour donner de la couleur à ces cérémonies.
Pourquoi cet intérêt varié à rendre hommage à l’homme? Pourquoi cet acte présidentiel en l’honneur de l’homme? Il n’y a que son parcours pour le justifier.
C’est pourquoi il est important de le rappeler autant que possible à la postérité africaine en mal de repères.
Parcours impressionnant
En effet Jean Mbouendé est né à Badoumven dans le groupement Banka à l’Ouest du Cameroun au crépuscule des années 1890, de Djakam et de Monga, un couple de paysans.
Non scolarisé, puisqu’il ne fera que moins de 03 jours à l’école allemande, il retournera aussitot à Badoumven pour se former à la chasse auprès d’un de ses oncles, Kamtcho, parce que sa mère redoutait l’influence négative que pourrait impacter la civilisation occidentale sur son comportement.
Un jour, son piège attrape une biche. Mais son tuteur, YAMENI Soh Tiegué, va la vendre au marché Batcho à 08 Mark et va confisquer cette recette, ce qui rebellera le jeune garçon qui va aussitôt le quitter pour se rendre en aventure à Bana.
Y étant, il fera la rencontre d’un Banka nommé Tchawa, chef d’équipe chez un Sénégalais, ancien combattant reconverti en vendeur d’huile de palme. Son petit nom était Menta, à cause de sa silhouette filiforme.
Ses clients étaient basées à Nkongsamba et le déplacement se faisait à pieds.
Il va donc l’enrôler dans son équipe et sa bonne conduite aidant, il fera de lui son homme de main, chargé de tenir sa caisse et d’effectuer des commissions pour son compte, loin des porteurs.
C’est à Nkongsamba que Jean Mbouendé découvre le train et son vœu sera de voyager à bord.
Ce vœu se réalise en 1920 et le conduit à Dibombari, puis à Douala où il est recruté à la Rw-King en 1921.
Devenu chauffeur chez le même employeur en 1926, il contracte son premier mariage la même année avec Marie Éboutou, originaire de Sangmélima dans le sud du Cameroun, affirmant très tôt et à une époque où cela était inconcevable, son refus net du repli identitaire hélas encore tenace au Cameroun. Le mariage réligieux aura lieu à l’eglise catholique de Vimli à Mbalmayo en janvier 1927. Et c’est ici qu’il prendra le prénom de Jean.
Il pose ainsi dès son jeune âge, sa vision intégrationniste de la vie à l’intérieur d’une nation.
Ayant déjà étroitement intégré dans sa philosophie existentielle la notion du bien-être et de qualité de vie, il construit en 1928 la première maison moderne de la subdivision de Bafang.
Répondant à l’appel de la terre, il retourne au bercail, armé de sa voiture, la première de sa localité, pour créer en 1934 à Kwétchi dans le groupement Banka, la première plantation de café robusta de sa subdivision.
En 1935, il est nommé accesseur au tribunal de consultation de Bafang.
Il est élu la même année comme vice-président de la coopérative des planteurs de la subdivision de Bafang.
Il se signale alors par ses prises de position courageuses et osées contre les injustices du pouvoir colonial et de ses comparses africains, qui à l’époque, n’accordaient l’exclusivité de la culture du café qu’à leurs suppôts (notables, chefs traditionnels etc.…).
Toujours en 1935, guidé par son éternelle soif d’expansion, son flirt naissant avec l’élevage des bovins, première entreprise du genre dans sa subdivision, dénote déjà du caractère d’un citoyen futé à qui le bon sens paysan avait déjà inculqué la notion économique de division des risques.
Syndicaliste
En 1946, encouragé par Charles Assalé, ayant fait le déplacement de Bafang avec le prince Bana, Jean Baptiste Saitapoum, pour rencontrer le nationaliste, il crée le Spp (Syndicats des Petits Planteurs) de la subdivision de Bafang qu’il affilie à l’Union des Syndicats Confédérés du Cameroun(USCC) de Gaston Donnat.
Il s’agit en fait du premier mouvement syndical en pays bamiléké.
De cette tribune, il élève le ton et connait ses premiers ennuis avec l’administration coloniale qui culminent avec son internement préventif à la prison centrale de Bafang du 01er septembre 1947 au 15 avril 1948, à cause de son engagement en faveur de la vulgarisation de la caféier-culture, source de richesse.
C’est d’ailleurs maître Blond Fermier, avocat venu de Paris et commis par le CGT (Confédération Générale de Travail) qui obtient son acquittement pur et simple.
Le bilan de cette incarcération arbitraire est catastrophique: la perte d’un cheptel d’environ 1 000 bœufs, le décès de sa mère Monga Anne et de son fils Joseph Mbouendé, des suites de maladies cardio-vasculaires liées à son arrestation.
Militant engagé de l’Upc
Frappé par son dynamisme syndical, Um Nyobé, que Jean Mbouendé introduit en pays Bamiléké, l’encourage à créer le premier comité central de l’Union des Populations du Cameroun (UPC) en Juin 1948, à la lisière de la légalisation du parti. Le siège est dans sa concession à Banka et ce tournant, facilement négocié, est rendu possible par l’existence préalable des structures syndicales bien organisées.
Il devient la cible focale du pouvoir colonial qui en mai 1955, organise le pillage et la destruction systématique de ses biens.
Le chef Bandjoun, Kamga Joseph, est celui qui en profitera pour emporter son coffre-fort contenant la somme 300 000 FCFA.
Ayant eu vent de sa presence à Douala après ces évènements de mai 1955 et de ce qu’il s’apprêtait à rentrer en pays bamiléké, ayant abdiqué à loption de l’exil, le pouvoir colonial va bloquer un train sur le pont du Wouri pour près de 10heures infructueuses de fouille à la recherche du nationaliste.
Il ne doit la vie sauve qu’en se réfugiant durant cinq ans dans le « maquis » de ses exploitations agricoles à Kambo-Kékem, où il réussira à se creuser un lit à l’intérieur d’un tronc d’arbre.
Ses détracteurs iront jusqu’à dire au pouvoir colonial, qui le recherchait mort ou vif, que chaque fois qu’on réussit à l’apercevoir, il se transforme en plant de café. C’est pour cette raison que le 15 mai 1959, l’administration coloniale réquisitionne huit camions remplis de militaires pour venir abattre les plants de café aux coupes-coupes, parce qu’elle était persuadée qu’en les abattant, mystiquement, elle réussirait à l’abattre aussi. Mais hélas!
Persécuté par l’administration coloniale
11 000 plants de café âgés de 08 ans et en pleine production sont ainsi détruits.
Deux se ses épouses (Kadji Élisabeth et Monkam) sont alors arrêtées et expédiées dans un camp de concentration à Maroua Salack et c’est grâce à Michel Njiné, vice-premier-ministre à l’époque, qu’elles sont relâchées sept mois après.
La ville de Kékem voit le jour parce que Jean Mbouendé est recherché. La première résidence moderne y est construite pour abriter le commissaire algérien mis en mission là-bas pour l’épier dans l’optique de l’assassiner. Mais en vain, Dieu va le protèger.
Tout ce qui a la consonance Mbouendé est vouée aux gémonies, ce qui va créer beaucoup de victimes phonétiques.
Ndingué Jean, propriétaire de l’hôtel Aurore à Yaoundé, payera les frais par un emprisonnement arbitraire à Maroua Salack.
Le père de Louis-Marie Djambou, célèbre promoteur de l’Iug (Institut Universitaire du Golfe) de Douala, de regrettée mémoire, qui s’appelait Mbouendé Jean, sera assassiné. Pour ne citer que ceux-là.
En 1950, le haut-commissaire de la république française au Cameroun, André Soucadeaux, va refuser de façon discriminatoire de délivrer une autorisation d’hypothèque pour un prêt de 4 000 000 de francs métropolitains qu’une banque française située à Clermont-Ferrand avait accordé à Jean Mbouendé.
Ses provisions, constituées du fond de souscription et des avances anticipées de remboursement, ne sont remboursées qu’à hauteur de 30%, sans aucun intérêt de retard après 05 ans, à la faveur de l’exécution de la résolution N°1334 de la 940ème séance du conseil de tutelle de l’ONU du 15 juillet 1955, l’institution internationale ayant été saisie par le nationaliste à cet effet.
70% de cette ardoise française reste attendue par la famille Mbouendé depuis 1950 avec intérets de retard.
C’est assurément de sa volonté de donner goût, joie de vivre et saine émulation aux populations de Bafang que Jean Mbouendé tire le ressort pour créer en 1952, Tortue FC dont la fusion ultérieure avec Génie FC et Jupiter FC donnera naissance à Unisport FC, Club de football mythique du Haut-Nkam.
Toujours en 1952, sous la houlette de Jean Mbouendé, le comité central Upc de Banka-Bafang, contribue au financement du premier voyage de Ruben Um Nyobé aux nations unies à hauteur de 2 000 000 FCFA, soit 4 000 000 Francs Métropolitains.
Il sort de sa cachette le 25 mai 1960 après la proclamation de l’indépendance du Cameroun français, suite à la loi d’amnistie générale et inconditionnelle décidée par le pouvoir et est reçu par le président Ahmadou Ahidjo à Yaoundé le 01er Juin 1960.
Celui-ci pour mémoire, avait envoyé 300 soldats de la communauté française à Bafang pour ramener les gens à la vie normale en mettant un terme aux troubles ; mais hélas !
Les populations sont restées terrées dans leur cachette et n’attendaient que sa présence pour croire à la thèse de l’indépendance.
Le Pacificateur
Le président lui confie donc cette tâche de pacification du département du Haut-Nkam qui depuis 1956 était ravagé par une vague d’actes terroristes entretenus par le pouvoir colonial et ses sbires pour diaboliser l’upc et ses leaders.
Le travail est excellemment fait. Sans violence et usant de son entregent exceptionnel, il réussira là où les armes de la soldatesque ont échoué.
Toujours en 1960, répondant à l’appel de John Ngu Fontcha, Jean Mbouendé participe à la campagne pour la réunification des deux Cameroun (Occidental et Oriental).
FCFA 700 000 (sept cent mille francs CFA) sont collectés par ses soins dans l’arrondissement de Bafang (devenu une année plus tard département du Haut-Nkam) et remis à Fontcha à cette fin.
Le reliquat de la somme du plébiscite, 79 160 FCFA sera remis à l’adjoint-préfectoral du Haut-Nkam le 04 mars 1961 contre décharge.
Fort de tout cet effort de contribution à l’œuvre de construction nationale, le président Ahidjo va instruire son gouvernement par le biais du premier-ministre Charles Assalé de faire recenser les dégâts subis par Jean Mbouendé lors des évènements de mai 1955 dont il était une des principales victimes, en vue d’une indemnisation.
Le travail est fait et le résultat envoyé en France qui débloquera 70 millions de francs Métropolitains pour le compte du nationaliste. Jean Mbouendé n’a jamais reçu un seul franc, ni sa famille. La source de la confidence est bien le ministre Kanga Victor, embastillé lui aussi par le régime d’Ahidjo.
Premier maire de la commune de plein exercice de Bafang
Jean Mbouendé est élu premier maire de la commune de plein exercice de Bafang en avril 1961, sous la bannière de l’UC (Union Camerounaise), dénouement logique d’un parcours conquérant.
Aujourd’hui encore, cette ville lui doit son visage urbanisé. Son ossature routière et le choix des sites de ses principales infrastructures sont l’émanation du génie propre de Jean Mbouendé.
Le président Ahmadou Ahidjo, lors de sa visite à Bafang le 20 juin 1962 va d’ailleurs le citer dans son discours comme exemple de droiture et de courage.
De ses démêlés avec le préfet de l’époque, Obam Mfou’ou Jérémie, du fait de son refus de compromission à diverses échelles dans la conduite des affaires communales, naît sa mise à l’index comme agitateur et coupable d’actes attentatoires à la sécurité de l’État.
C’est sur ce fond de fausses accusations, aggravées d’affabulations politico-administratives aussi grossières et mensongères les unes que les autres, qu’il a eu à réaliser de 1965 à 1970, son original parcours de combattant dans les geôles et pénitenciers alors les plus cyniques du territoire : BMM (Brigade Mixte Mobile) de Manengouba, Douala, Yaoundé et Centre de Rééducation Civique de Mantoum.
Il a connu, suprême humiliation, le supplice de la balançoire à la BMM de Manengouba qu’il décrit dans son autobiographie avec une précision révoltante :
« La balançoire était un instrument de torture particulièrement redouté. On vous y accrochait nu, pieds et poings liés. Le respect de la pudeur se limitait au slip que vous gardiez.
De part et d’autre de la balançoire, et à distance idoine, deux gendarmes baraqués se renvoyaient violemment le corps flottant du supplicié.
Pris dans le tourbillon de la nasse étoilée que la vitesse du mouvement offrait à sa vue, ce dernier n’avait plus qu’à dire ce que l’on voulait qu’il dise : c’était cynique ».
En Juillet 1970, toujours dans le cadre de l’affaire Ouandié, il est à nouveau arrêté et conduit au camp militaire de Bamougoum, puis 03 mois après à la BMM de Yaoundé où il est soumis au choc électrique par la bouche et le nez, sous le fallacieux motif qu’il finance le terrorisme.
Il est toutefois important de relever que chaque fois qu’il a été arrêté, les enquêtes n’ont jamais permis de retenir de charges contre lui.
Jean Mbouendé ralliera enfin son Banka natal le 31 décembre 1970 et se consacrera entièrement à ses activités agricoles.
En 1987, à l’époque du monolithisme, il soutient la liste conduite par le chef Bafang, Kamga Ngandjui René, lors des élections municipales pluralistes. Elle est plébiscitée et c’est finalement Djiaha Desbakondji qui sera élu maire, par la volonté du comité central du Rdpc.
Le 31 mars 1989, le Prince Dika Akwa Nya Bonambela écrit une correspondance à Jean Mbouendé dans laquelle il l’informe de ce qu’il se donne la mission de relancer l’upc et qu’à cette occasion, il compte sur son entregent pour réussir.
En 1990, le vent de l’Est impose l’ouverture démocratique.
L’upc est ainsi relégalisée le 12 février 1991. Jean Mbouendé acte son départ du Rdpc par une lettre de démission pour rallier l’upc.
Le comité directeur provisoire le propulse à la dignité de président d’honneur du parti en raison de ses états de services anterieurs. En même temps, il tient les reines du parti dans le département du Haut-Nkam, alors qu’il est déjà plus que centenaire.
Il participera à la grande marche de la coordination des partis politiques de l’opposition à Yaoundé dont le directoire est assuré en ce moment par l’upc.
Partisan des Villes Mortes non violentes, pour faire fléchir le pouvoir face aux revendications populaires, il est par contre catégoriquement opposé au boycott des élections et de la rentrée scolaire.
Les dissensions ne tarderont pas à resurgir dans l’upc où Augustin Frédéric Kodock, secrétaire général, veut évincer Dika pour contrôler le parti. Il fait feu de tout bois.
La coordination des partis politiques de l’opposition et certaines associations membres vont le suivre dans cette démarche pour affaiblir l’upc dont la force de mobilisation commençait à effrayer, étant tenu des mains de maître par le Prince Dika Akwa.
Kodock instrumentalise ainsi Ndeh Ntumazah. Jean Mbouendé voit cela de loin et suggère à Ntumazah, qui revenait d’ un long exil, de se donner au moins deux ans pour maîtriser la politique locale avant de prendre la direction du parti. Ntumazah fonce malheureusement tout droit dans le mûr au grand dam du parti. Dika Akwa est écarté au congrès de Nkongsamba.
La section de Bafang est infiltrée pour jouer le jeu trouble du secrétaire général Augustin Frédéric Kodock au profit du pouvoir. La lucidité de Jean Mbouendé lui permettra de déceler ce jeu. Et pour cela, il est bon de neutraliser le patriarche qui eempêche de tourner en rond.
C’est pourquoi à la faveur d’un voyage à Bafoussam le 01er juillet 1991 pour participer à une rencontre dont le but était de recoller certaines factions antagonistes de l’upc, Jean Mbouendé, âgé de 101 ans, Ténawa Emmanuel, Feyou De Happi, Engwapi Christophe et Djato Étienne, chauffeur, sont interpellés au niveau du col Batie par des commandos militaires en mission spéciale, lourdement armés, qui attendaient leur véhicule. Ils sont tous copieusement bastonnés en dehors visiblement de Feyou De Happi.
Le sac de Jean Mbouendé disparaît avec les documents du parti. Il reçoit les coups de crosses et les assaillants lui promettent la mort imminente. On les amènera ensuite vers une destination inconnue.
Le Prince Dika Akwa est informé et dans ses investigations, il va les localiser deux jours plus tard à Bandjoun. Yaoundé dit ne pas être au courant de cette affaire. La population de Bafang est en furie et sort en masse pour exiger leur libération.
Le préfet du Haut-Nkam quitte la ville de Bafang pour aller aussi en investigation à Bafoussam.
Les otages seront finalement libérés le 04 juillet 1991 et suivront les soins à l’hôpital départemental de Bafang pendant un mois après avoir reçu un accueil impressionnant des populations du Haut-Nkam.
Ils étaient faussement accusés d’entrave à l’usage de la voie publique et de manifestation illégale, s’agissant d’une voiture qui roulait avec 05 vieillards.
Par jugement N°2634/cor rendu le 04 février 1993 par le tribunal de première instance de Bafoussam statuant en matière correctionnelle, ils seront blanchis.
Trois ans après, Tenawa Emmanuel, qui avait gardé les séquelles de cette bavure, va malheureusement décéder.
Le karma va faire valoir son droit de cité pour confirmer que les actions ont les conséquences. Le commanditaire de cette autre torture était bien dans le groupe. Son bras séculier n’étant autre que son frère cadet, colonel dans l’armée camerounaise à l’époque.
Ce colonel subira assurément plus tard les conséquences de ses actions en se voyant assassiner par son propre fils dans son domicile à Yaoundé.
En 1992, à l’occasion des élections législatives, Jean Mbouendé soutient la liste de l’upc dans le Haut-Nkam qui obtiendra 02 députés sur 03. Un des députés suivra Augustin Frédéric Kodock dans son alliance avec le pouvoir, confirmant ainsi son rôle dans le jeu trouble anti-parti et dans les exactions de Batié.
« Pour la patrie contre l’arbitraire »
En 2000, Jean Mbouendé publie son autobiographie « POUR LA PATRIE, CONTRE L’ARBITRAIRE ».
L’écrivain, ancien syndicaliste et patriarche Douala, Léopold Moumée Etia, dira de cette œuvre:
« Ce livre servira à coup sûr aux chercheurs du futur comme miroir de ce qu’était: la honte de la colonisation ».
Plusieurs fois sacré meilleur planteur et éleveur du Haut-Nkam, Jean Mbouendé a bénéficié de plusieurs distinctions honorifiques :
1. Mérite Camerounais de deuxième classe en 1960 ;
2. Chevalier de l’Ordre de la Valeur Camerounaise en 1965;
3. Officier de l’Ordre de la valeur Camerounaise en 1986.
Le journaliste Guy Roger Eba’a, du podium de la célèbre émission de la CRTV « LES FIGURES DE L’HISTOIRE » conclura:
« Jean Mbouendé a aimé le Cameroun… Et ils ne sont pas nombreux aujourd’hui les Camerounais qui sont prêts à tout perdre pour leur pays… ».
Au soir de sa vie, comme l’apôtre Paul à Timothée, « Pour moi, voici que je suis déjà offert en libation et le temps de mon départ est arrivé. J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la fois » 2 Timothée : 4-6-7, le patriarche se confiait à une équipe du magazine « Le Nzingu » venue l’interviewer une semaine avant sa mort.
Répondant à la question: « au soir de votre vie, avez-vous peur de la mort »?
il réplique : « non, je suis prêt. Je suis même impatient, mais comme cela ne dépend pas de moi…
Beaucoup de gens dans le cours de ma vie ont cherché à me liquider sans réussir. A l’heure de Dieu, quelle appréhension voulez-vous que je cultive encore ? Non mes enfants, je suis serein, d’autant plus qu’au fur et à mesure où l’heure approche, comme un seul homme, mes enfants accourent vers moi pour me soutenir. Vous avez vu un monument en construction à l’entrée de chez moi. C’est des jeunes comme vous (Cercles des Elites Intérieures du Haut-Nkam) qui l’érigent. C’est sans doute ma dernière distinction honorifique et je suis heureux qu’il me soit offert en ultime hommage par des jeunes.
Aujourd’hui, c’est vous du «Le Nzingu » qui me rendez visite, que demander de plus à Dieu ? Je tire ma révérence dans une très grande tranquillité d’esprit. Le moral est au beau fixe. Dieu m’a beaucoup aimé ».
Parole d’homme, d’un homme à part qui a tenu à apposer ses dernières signatures sur toutes les invitations qu’il a adressées à ses hôtes du 07 Août 2004, invitations qu’il a accompagnées chaque fois que cela était possible d’une branche d’arbre de paix comme pour sceller la paix avec tous les hommes de bonne volonté.
Aux jeunes, héritiers et légataires des dernières pensées de Jean Mbouendé, il appartient de tirer le meilleur parti possible de la vie exemplaire de l’illustre disparu. Pour leur propre bonheur. Pour que force reste aux hommes de conviction et de foi pour le triomphe de la juste cause et de la cause du juste.
« Ouvrez tous les volets de la chambre, y compris de la salle de bain… » :
Ces dernières paroles de vie, Jean Mbouendé les prononce dans son lit, à son domicile cet après- midi du 16 Juillet 2004. Un jour plus tôt, de son lit d’hôpital et malgré toute l’attention médicale dont il est l’objet, il demande à être ramené chez lui.
L’on sait d’ailleurs que c’est à son corps défendant et davantage pour rehausser le moral de quelques uns de ses enfants préoccupés, qu’il a accepté un ultime séjour dans un établissement hospitalier : « pour pas plus de 48 heures » avait-il alors précisé.
C’est lui-même qui rappelle une fois ce délai atteint qu’il est temps de rentrer à la maison.
Les intimes de Jean Mbouendé savent que cette exigence du patriarche est prémonitoire et vise à assurer la réalisation de sa prophétie relative à la fin de sa vie : « Je mourrai chez moi et sur mon lit, avait-il l’habitude de dire. Je souhaite que Dieu me donne cette grâce ». Cette grâce, Jean Mbouendé l’a eue le vendredi 16 juillet 2004 à 18heures précises, sans agitation, dans la sérénité et la tranquillité.
C’est en ce moment là que ceux qui l’avaient intimement connu, ont alors tenté de décrypter ses dernières paroles et leurs charges symboliques : « ouvrez tous les volets de la chambre… ».
Ceci aurait pu exprimer que l’homme éprouvait le besoin d’une plus grande oxygénation. Il aurait aussi pu indiquer qu’il avait chaud et se serait satisfait d’un grand bol d’air. Aucune de ces hypothèses ne résiste à l’analyse car, outre que sa chambre est suffisamment aérée, la température ambiante à Bafang à ce virage crépusculaire d’une journée de saison pluvieuse invite plutôt à se mettre au chaud. Il ne reste alors que l’hypothèse la plus probable :
Ouvrir largement les volets pour que son esprit s’échappe, s’envole vers l’issue de son choix.
Cette option est corroborée par la main et le petit doigt levés peu de temps avant son dernier soupir en réponse à son interlocuteur, Jean Paul Wotadji alors président du Cercle des Elites Intérieures du Haut-Nkam, qui l’interpelle, voulant alors dire : « ça y est, je n’en peux plus, adieu » .
Ainsi se sont déroulés les derniers instants sur terre de Jean Mbouendé, crédité de 114 ans quand sonne le glas de sa vie.
Il est aussi important de relever qu’il aura ainsi vécu sur trois siècles et deux millénaires: Privilèges de la Providence accordés à très peu d’hommes dans une génération.
Il était chrétien catholique, et le premier à devenir polygame à Bafang. Il s’est marié de 14 femmes, a laissé 05 veuves, 29 enfants, 90 petits-fils et 80 arrière-petits-fils.
Le 07 Aout 2004, il a eu droit aux obsèques officielles décidées par la Haute Sagesse de la République, le président Paul Biya, devenant ainsi l’un des premiers nationalistes camerounais, morts sur leur lit, à recevoir cette reconnaissance.
Hommages de la république du Cameroun
Ces cérémonies étaient présidées par Monsieur Raphael Eweck, préfet du département du Haut-Nkam et porteur du message de condoléances du chef de L’État, Son Excellence Monsieur Paul Biya, dans lequel il a mis en exergue les qualités de patriote et de loyaliste de l’illustre disparu. Il l’a aussi peint comme un patriarche respecté et vénéré.
Jean Mbouendé a enfin été élevé à la dignité de Commandeur du Mérite Camerounais à titre posthume.
Cette reconnaissance présidentielle à son égard, à été appréciée à sa juste valeur. Et pour honorer davantage sa mémoire, l’Etat pourrait réparer certaines injustices qu’il a subies en mettant à la disposition de sa famille la somme de 70 000 000 francs métropolitains venue de la France en indemnisation du patriarche et jamais décaissée par l’ayant-droit légitime. la réparation aussi des torts causés à travers les detentions arbitraires dans les geôles du Cameroun : 12 mois dans les BMM, 04 ans et demi à Mantoum, la fessée de Batié.
Quant à la France, elle gagnerait à se réconcilier avec les victimes de la colonisation dont Jean Mbouendé. Dans ce sillage, la famille Mbouendé continue d’attendre la régularisation de 70% de la dette vis-à-vis de l’Union Inter Régionale de Crédit de Clermont-Ferrand et la réparation de tous les torts engendrés pendant la colonisation: 01 cheptel d’environ 1 000 bœufs, 11 000 plants de café âgés de 08 ans, les incarcérations abusives, 05 ans à dormir sous un baobab, l’incarcération abusive de ses épouses, le décès précipité de ses proches et victimes phonétiques….
Jean Mbouendé était presque pionnier dans tous les domaines de son riche parcours, un esprit libre, amoureux de la justice sociale et de l’équité.
il n’était pas contre le peuple français, mais était plutôt contre la politique française dans les colonies et autres territoires occupés.
Il a reçu le soutien des représentants russes au conseil de tutelle de l’Onu dans le cadre de son conflit financier avec la France, mais n’a jamais prôné le remplacement d’un maître par un autre, les États devant être égaux en droit selon lui.
Il disait que le Cameroun doit entretenir les relations de partenariat avec tous les pays de bonne volonté dans leur intérêt réciproque. C’est le message qu’il a lègué à la jeunesse entreprenante africaine , éprise de liberté et de paix.
En définitive, que Jean Mbouendé ait été décoré à titre posthume, que la famille ait eu droit à un message de condoléances du président Paul Biya lui-même, que les cadres des partis politiques de divers horizons, les autorités traditionnelles et réligieuses, les opérateurs économiques de tout bord, de nombreuses associations et une foule nombreuse aient honoré de leur présence effective les cérémonies d’obsèques, que le Cercle des Elites Intérieures du Haut-Nkam ait érigé un monument à son honneur, tout cela témoigne à suffisance de la dimension de l’homme et de ses œuvres.
C’est la leçon qu’il laisse à la postérité, lui qui avait toujours eu cette pensée profonde pour la jeunesse :
« Nul n’emportera le monde avec soi, mais ceux qui se soucient de l’humanité doivent avoir peur d’une postérité médiocre ».
Tout un programme.
Clément W. Mbouendeu
Gardien de la Mémoire de Jean Mbouendé