𝐌𝐞𝐲𝐨𝐥𝐢𝐬𝐦𝐞 𝐚𝐜𝐭𝐞 𝟒𝟕

𝐋’𝐔𝐧𝐢𝐨𝐧 𝐍𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧𝐚𝐥𝐞 𝐂𝐚𝐦𝐞𝐫𝐨𝐮𝐧𝐚𝐢𝐬𝐞 (𝐔𝐍𝐂) – 𝐑𝐚𝐬𝐬𝐞𝐦𝐛𝐥𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐃é𝐦𝐨𝐜𝐫𝐚𝐭𝐢𝐪𝐮𝐞 𝐝𝐮 𝐏𝐞𝐮𝐩𝐥𝐞 𝐂𝐚𝐦𝐞𝐫𝐨𝐮𝐧𝐚𝐢𝐬 (𝐑𝐃𝐏𝐂) 𝟏𝟗𝟔𝟔-𝟏𝟗𝟗𝟎 : 𝐏𝐚𝐫𝐭𝐢 𝐔𝐧𝐢𝐟𝐢é, 𝐏𝐚𝐫𝐭𝐢 𝐔𝐧𝐢𝐪𝐮𝐞 𝐨𝐮 𝐏𝐚𝐫𝐭𝐢 𝐚𝐜𝐭𝐚𝐧𝐭 𝐜𝐨𝐦𝐦𝐞 𝐩𝐚𝐫𝐭𝐢 𝐮𝐧𝐢𝐪𝐮𝐞. 𝐋𝐞 𝐩𝐨𝐢𝐧𝐭 𝐝𝐞 𝐯𝐮𝐞 𝐝𝐞 𝐥’𝐇𝐢𝐬𝐭𝐨𝐢𝐫𝐞

A la faveur de ma participation à un jury de Master en Histoire, j’ai eu un débat très intéressant avec l’impétrant au sujet de ce qui peut être considéré comme l’une des incompréhensions de la vie politique camerounaise. Dans son propos liminaire, le candidat a, faisant référence à l’Union Nationale Camerounaise (UNC) ; indiqué que cette organisation, était le Parti Unique créé par le Président Ahmadou Ahidjo. Je n’ai pas été surpris outre mesure par l’affirmation de ce jeune prétendant au grade de Master.

La raison de mon manque d’étonnement, ou de ma quasi indifférence, ou mieux de mon état d’ataraxie, est que, même dans les milieux les plus huppés de la capitale camerounaise, et même ailleurs, il se trouve des personnalités, des personnages et des personnes, convaincus qu’entre 1966 et 1990, le Cameroun a évolué sous le régime du Parti Unique. Je voudrais rester optimiste en n’affirmant pas qu’un peu plus de la majorité des gens avec qui j’ai échangé (intellectuel(le)s, hommes et femmes de média, simples curieux), ne parviennent pas à faire la différence entre le Parti Unique, le Parti Unifié et la pratique monopolisée de l’activité politique par une organisation politique.

Dans le cadre de ce quarante-septième acte du meylolisme, je veux, à la suite de l’échange que j’ai eu avec le jeune étudiant, entretenir mes lecteurs que je connais nombreux, sur les trois notions supra en les situant dans le contexte camerounais afin de dégager le fait ; pour ainsi établir la vérité historique.

Dans cette démarche, j’aborderai trois axes essentiels. Le premier m’autorisera une immersion dans l’histoire des partis politiques au Cameroun en m’appuyant sur les réalités issues du partage du 6 mars 1916. Le deuxième sera fait du cheminement ayant conduit à la naissance de l’Union Nationale Camerounaise et du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais, respectivement en 1966 et 1985, ainsi que leur gestion de l’espace politique. Le troisième se présente comme une conclusion qui établissant la vérité historique, celle de l’inexistence d’un Parti Unique au Cameroun.

𝐼. 𝐼𝑀𝑀𝐸𝑅𝑆𝐼𝑂𝑁 𝐷𝐴𝑁𝑆 𝐿’𝑈𝑁𝐼𝑉𝐸𝑅𝑆 𝐷𝐸𝑆 𝑃𝐴𝑅𝑇𝐼𝑆 𝑃𝑂𝐿𝐼𝑇𝐼𝑄𝑈𝐸𝑆 1939-1966

La vie politique au Cameroun a pour origine les mouvements de pression. C’est au Cameroun sous administration britannique qu’il convient de trouver les premières manifestations. Elles remontent en 1939 avec la création du Cameroon Welfare Union. Fruit de l’action de G. J. Mbene. La CWU avait au nombre de ses objectifs, « […] catering for the interests of Cameroonians which, at this point, included the assertion of a Cameroons identity […] ».

Bien que ce mouvement n’est pas eu l’impact souhaité, il a eu le mérite de mettre en selle les techniques et mécanisme de défense des intérêts des camerounais dans un environnement dominé par l’hyper présence des nigérians dans divers secteurs d’activités. C’est dans et esprit qu’est né le 27 mars 1940, la Cameroons Youth League avec comme pères fondateurs, Paul Kale, Emmanuel Endeley, John Ngu Foncha. Son objectif était de « trouver une solution aux problèmes économiques, éducationnels, politiques et sociaux des populations du Cameroun britannique, ainsi que d’obtenir un statut reconnu pour le Southern Cameroons ».

Du fait de la nature de ses leaders qui étaient tous des étudiants et dont la présence au Nigéria était lié à ce statut, une fois les études terminées, ces derniers ont eu des fortunes diverses. Cette situation a suffisamment impacté le mouvement au point où à l’amorce des années 50, il disparait pour laisser la place au Cameroun National Federation créé par Emmanuel Endeley en mai 1949. Proche des idées du CYL, il promeut la réunification des deux Camerouns, sans doute influencé par l’Union des Populations du Cameroun qui naquit le 10 avril 1948 avec comme objectifs la réunification et l’indépendance du Cameroun.

La naissance de l’UPC au Cameroun sous tutelle de la France va être à la base de la création d’autres partis politiques ayant paradoxalement l’ambition de porter un discours contraire au sien. Le bannissement de l’UPC en juillet 1955, laisse la voie libre au BDC et à l’UC. Au Cameroun sous tutelle de la Grande Bretagne, en juin 1953, le Kamerun National Congress premier parti politique voit le jour. Il est la conséquence de la fusion du Cameroon National Federation et du Kamerun United National Congress. C’est ce parti politique qui a l’honneur d’appliquer les dispositions de la Constitution Littleton octroyant au Southern Cameroons, le statut de territoire quasi fédéral.

Ce dernier lui permettait d’avoir une assemblée législative et un exécutif. Mais à cause de son alignement aux thèses de l’Action Groupe, Endeley suscite le mécontentement d’autres responsables du parti qui décident en 1955 de partir et de créer, sous l’impulsion de John Ngu Foncha, le Kamerun National Democratic Party. A la veille des indépendances, de part et d’autre du Moungo, les partis politiques, conformément à leurs idéologies respectives, ont des discours particuliers. Au Cameroun sous administration française, l’Union Camerounaise de Ahmadou Ahidjo qui est devenu Premier Ministre en 1958, domine les débats.

Au Cameroun sous administration britannique, le Kamerun National Democratic Party, vainqueur des élections législatives de 1959, se positionne comme le porte-parole de cette entité lors des débats relatifs à l’indépendance.
Ceci dit, quand s’opèrent les indépendances au Cameroun entre 1960 et 1961, ces deux partis émergent comme les principales forces politiques. De ce fait, ce sont eux qui fournissent le personnel politique aux institutions de la Républiques Fédérale instaurées par la Constitution du 1er septembre 1961.

𝐈𝐈. 𝐃𝐞 𝐥’𝐔𝐧𝐢𝐨𝐧 𝐍𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧𝐚𝐥𝐞 𝐂𝐚𝐦𝐞𝐫𝐨𝐮𝐧𝐚𝐢𝐬𝐞 (𝐔𝐍𝐂) 𝐚𝐮 𝐑𝐚𝐬𝐬𝐞𝐦𝐛𝐥𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐃é𝐦𝐨𝐜𝐫𝐚𝐭𝐢𝐪𝐮𝐞 𝐝𝐮 𝐏𝐞𝐮𝐩𝐥𝐞 𝐂𝐚𝐦𝐞𝐫𝐨𝐮𝐧𝐚𝐢𝐬 (𝐑𝐃𝐏𝐂)

La naissance de la République Fédérale du Cameroun le 1er octobre 1961, consacre la victoire de l’Union Camerounaise et le Kamerun National Democratic Party. Le Gouvernement central basé à Yaoundé, les gouvernements fédérés de Buéa et Yaoundé, l’Assemblée Nationale Fédérale et les Assemblée législatives des deux Etats fédérés sont tous aux couleurs de ces deux formations politiques. D’ailleurs, dès février 1962, ils s’engagent dans un processus visant à harmoniser leurs points de vue. Il en résulte, la création d’un unique groupe parlementaire au sein de l’Assemblée Nationale Fédérale.

Le fait que l’UC et le KNDP contrôlaient les institutions, ne signifiait pas l’inexistence d’autres partis politiques. La différence se faisait juste au niveau de leur absence dans les instances de gestion de l’Etat. Il bon de préciser qu’à la suite de l’indépendance du Cameroun sous administration française obtenue le 1er janvier 1960, l’Union des Populations du Cameroun (UPC) fut réintégrée dans le champ de la légalité. Bien que cette initiative ne concerne qu’une tendance, cet acte marquait le retour à la légalité du parti historique. Au Cameroun sous administration britannique, le Cameroon People’s National Convention (CPNC) né de la fusion du KNC et du KPP, cristallise l’attention en s’opposant farouchement au KNDP.

Dans son alliance stratégique avec l’UC, la KNDP perd de sa superbe. Sur le terrain de l’Etat fédéré, certes il reste majoritaire, mais de plus en plus, des distensions s’observe et des démissions se réalisent chaque jour un peu plus. En face, la tendance est à encourager le discours visant à marginaliser l’allié de l’UC. Concrètement, l’opposition au Cameroun occidental est de plus en plus favorable au message implicite de la création d’une organisation politique qui rassemblerait tout le monde. Sa mise en place lui permettra certainement de renverser la tendance.

Le 1er septembre 1966, Ahmadou Ahidjo parvient à unir les forces politiques camerounaises en créant l’Union Nationale Camerounaise (UNC). Le 24 mars 1985, l’UNC devient le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais. Comme l’UNC qui exista comme seul parti politique de 1966 à 1985, le RDPC fut le seul parti politique légal entre 1985 et 1990.

𝐈𝐈𝐈. 𝐔𝐍𝐂-𝐑𝐃𝐏𝐂 : 𝐏𝐚𝐫𝐭𝐢 𝐔𝐧𝐢𝐪𝐮𝐞 𝐨𝐮 𝐩𝐚𝐫𝐭𝐢 𝐮𝐧𝐢𝐟𝐢é ?

Au moment où l’UNC sort des fonds baptismaux, la Constitution en vigueur au Cameroun est celle de 1er septembre 1961. Dans son article 3, elle dispose que « les partis et formations politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils sont formés et exercent leurs activités librement dans le cadre fixé par la loi et les règlements ».

C’est dire que la naissance de l’UNC s’opère dans un environnement marqué par la reconnaissance implicite du multipartisme. Il s’agit davantage de la victoire politique d’un homme, le Président de la République qui a su jouer des distensions au sein des partis politiques et de finesse dans son projet de s’octroyer un instrument de gestion qui lui garantirait à priori l’adhésion de tous.

A la différence de plusieurs pays africains, le Cameroun a fait le choix dès ses premiers pas entant qu’Etat, de s’ouvrir à l’une des pratiques de la démocratie, à savoir la création et l’expression des partis politiques. On pourrait dire qu’au regard de l’histoire politique du Cameroun qu’il n’en aurait pas été autrement. Une analyse de l’activité politique dans d’autres pays africains, permet de comprendre la particularité camerounaise.

La lecture de la Constitution de la République du Zaïre adoptée en 1974 donne un exemple poignant de ce qu’est un parti unique. Dans son titre 3, et notamment à l’article 28, elle dispose qu’« en République du Zaïre, il n’existe qu’une seule institution, le Mouvement Populaire de la Révolution, qu’incarne le Président ».

C’est dire qu’au Zaïre, seul le MPR agissait comme parti politique, et on pourrait même dire au-delà. Car en réalité, s’il est fondée que l’article 29 dispose que « le Mouvement Populaire de la Révolution est la nation zaïroise organisée politiquement » et qu’ « le Président du Mouvement Populaire de la Révolution est de droit Président de la République et détient la plénitude de l’exercice du pouvoir.

Il préside le Bureau politique, le Congrès, le Conseil Législatif, le Conseil Exécutif et le Conseil Judiciaire ». Il est tout aussi vrai que le MPR régule plusieurs pans de la vie zaïroise. L’article 21, indique par exemple que l’enseignement national comprend les écoles publiques placées sous le contrôle du Mouvement Populaire de la Révolution et soumises à un statut fixé par la loi ».

C’est dire qu’en l’absence d’une codification faite par la Constitution, l’existence d’un parti unique au Cameroun en faisant référence à l’UNC-RDPC, relève du fantasme. La vraie appellation, en se fondant sur l’histoire, est le parti unifié.

𝐈𝐕. 𝐄𝐬𝐭-𝐢𝐥 𝐩𝐨𝐮𝐫 𝐚𝐮𝐭𝐚𝐧𝐭 𝐞𝐱𝐞𝐦𝐩𝐭e 𝐝𝐞𝐬 𝐩𝐫𝐚𝐭𝐢𝐪𝐮𝐞𝐬 𝐝𝐮 𝐩𝐚𝐫𝐭𝐢 𝐮𝐧𝐢𝐪𝐮𝐞 ?

Je l’ai dit en prenant l’exemple du zaïre, l’existence d’un parti unique est reconnue par la Constitution. Or la Constitution Cameroun qu’elle soit de 1961 ou de 1972, confirme les partis politiques comme acteurs essentiels de l’expression démocratique. Leur effondrement progressif voulu au profit de l’UNC, ne signifiait pas pour autant leur bannissement.

Toutefois, le fait que l’UNC et plus tard le RDPC soient les seules organisations politiques légales, permettait des interrogations réelles sur leur identité. Le raccourci trouvé était de les identifier comme des partis uniques. Si sur le plan typiquement lexical l’épithète « uniques » se comprend dans le sens où, ils étaient les seuls à exercer légalement leurs activités, dans le domaine de la science politique, ils ne sauraient être considérés comme tels. Mais pour autant, il faut bien reconnaitre que dans la pratique, l’UNC et après elle, le RDPC ont eu un règne bien proche de la celui des Partis Uniques.

La preuve est bien que, sous le règne de l’UNC, les grandes orientations de la politique interne et des agissements internationaux étaient exposés lors des congrès que le parti organisés régulièrement. A la différence du Zaïre où les attributions du Congrès du MPR étaient définies dans la Constitution, celles de l’UNC n’étaient codifiées qu’au niveau de ses statuts. Mais cela n’empêcha pas que cette instance fut le lieu où la politique nationale était définie ou tout au moins, l’instance qui permettait de rendre compte des choix stratégiques de l’Etat.

Dans les faits, le vent des « libertés » dont l’une des concrétisations est le retour au multipartisme, peut à certains égards, sonner comme une escroquerie, ceci dans la mesure où la Constitution en vigueur, celle du 2 juin 1972, reconnaissait la pratique du multipartisme. Une seul chose est évidente : le tournant décembre de 1990 a mis fin à la pratique solitaire de la politique au Cameroun.

Par : Prof Joël Narcisse MEYOLO, Historien et Chef de la Cellule de Communication au Ministère de l’enseignement supérieur du Cameroun