Entretien avec Clément W Mbouendeu

« La succession Jean Mbouendé continue d’attendre l’indemnisation de la France face aux injustices qu’elle lui a fait subir. »

Après la création par la France d’une «commission mémoire », sur la période sombre de la colonisation française au Cameroun, face aux craintes faites par de nombreux camerounais qui ont peur que les véritables responsabilités ne soient pas établies, Forum Libre est allé à la rencontre de Clément W Mbouendeu, fils et gardien de la mémoire du défunt Patriarche-nationaliste Camerounais, Jean Mbouendé. Lisez Plutôt…

Entretien avec Clément W Mbouendeu, fils et gardien de la mémoire du défunt nationaliste Jean Mbouendé

La patriache Jean Mbouendé de son vivant et son fils Clément Mbouendé

« La succession Jean Mbouendé continue d’attendre l’indemnisation de la France face aux injustices qu’elle lui a fait subir. »

Lors de son séjour en terre camerounaise en juillet 2022, le président Français Emmanuel Macron avait annoncé la création d’une commission mixte Franco-Camerounaise pour éclairer l’opinion sur les périodes sombres de la colonisation française au Cameroun. Depuis quelques jours, une  «commission mémoire » a été créé par la France avec comme co-présidents l’historienne Française, Karine Ramondy et l’artiste Camerounais Blick Bassy. Face aux craintes et autres réserves faites par de nombreux camerounais qui ont peur que les véritables responsabilités ne soient pas établies, Forum Libre est allé à la rencontre de Clément W Mbouendeu, fils et gardien de la mémoire du défunt Patriarche-nationaliste Camerounais, Jean Mbouendé. Lisez Plutôt…

 

Forum Libre : Une  «commission mémoire » a été créée par la France avec comme co-présidents l’historienne Française, Karine Ramondy et l’artiste Camerounais Blick Bassy. Jean Mbouendé a été un acteur majeur de la lutte contre la colonisation de l’époque où de nombreux camerounais ont perdu la vie et subi des exactions inimaginables perpétrées par l’armée française. En tant que gardien de sa mémoire et rédacteur de son autobiographie, intitulée «  Pour la patrie contre l’arbitraire », Quelles sont vos impressions ? Vous vous dites qu’enfin, c’est une occasion de dire au monde entier ce qui s’est réellement passé au Cameroun afin d’établir les responsabilités et surtout de panser les blessures qui continuent de marquer de nombreuses familles victimes pendant ces périodes ?

 

Clément W Mbouendeu : Bonjour aux nombreux lecteurs de Forum Libre et merci à son promoteur de me donner l’occasion de m’exprimer sur ce sujet sensible. Je commencerai par exprimer ma gratitude au Chef de l’Etat du Cameroun dont 1a diplomatie a permis qu’on reçoive tour à tour sur le sol camerounais  les Présidents François Hollande et Emmanuel MACRON.

Ensuite ma pensée ira dans le même sens vers le Président Hollande, qui le premier a  évoqué à Yaoundé l’hypothèse d’une déclassification des archives en vue de clarifier le rôle des uns et des autres par rapport à la période sombre dont on parle. Et enfin merci au Président Macron qui vient de matérialiser cela par la création de le  « commission mémoire » co-présidée par ceux que vous venez de citer.

C’est vrai que j’ai été un peu surpris par ces noms, notamment celui du Camerounais. N’oublions pas que notre compatriote et historien de renommée internationale,  Achille Mbembé avait été sollicité par le Président français et il lui a, en  octobre 2021, donné sa contribution relative aux nouvelles relations Afrique-France. Cela a sûrement aiguillé le président Macron dans sa prise de décision et le reste relève de son pouvoir discrétionnaire.

Ceux qui sont à la tête ne sont pas forcément les plus brillants, mais tout dépend de leur capacité à juxtaposer les intelligences de l’ombre pour arriver à bon port. C’est pourquoi je croise les bras et leur accorde du crédit car on juge le maçon au pied du mur. 

 

FL : Est-ce que vous êtes rassuré par cette commission chargée de travailler sur l’action de la France au Cameroun pendant la colonisation et après l’indépendance du pays ? 

CWM : Je croise les bras et attends le maçon au pied du mur. Je ne suis pas partisan de la chasse aux sorcières. Il faut toujours garder en mémoire qu’une équipe soudée et bien préparée vient généralement à bout des difficultés même si les règles du jeu sont défavorables. C’est pourquoi je ne partage pas la politique de la chaise vide qui me semble être à l’origine des maux de notre société aujourd’hui. 

Souvenez-vous qu’en 1992, l’opposition a presque tout raflé lors des élections législatives de mars malgré la loi électorale défavorable. Le parti au pouvoir avait eu 88 députés sur 180, soit un taux de 48,8% en l’absence du principal parti de l’opposition,  le SDF, qui avait alors choisi le boycott. Le parti au pouvoir n’a eu sa réussite que par le jeu des alliances avec l’opposition de l’opposition. Le SDF revient en octobre lors de la présidentielle et manque de peu de remporter la victoire. Le chairman obtient 36% contre 40% pour le président Biya. La loi ne prévoit pas de deuxième tour mais l’opposition perd parce qu’elle est divisée. 

Nous devons donc,  au regard de l’histoire,  rester concentrés sur l’essentiel et trouver les failles de l’adversaire pour avancer sereinement. Et l’adversaire ne devrait en aucun cas être confondu à l’ennemi. 

FL : L’on a toujours cité le Patriarche Jean Mbouendé comme l’une des figures du nationalisme camerounais ayant  beaucoup perdu pendant les périodes de la colonisation française. Peut-on avoir des précisions là-dessus.

CWM : Il faut côtoyer ceux qui l’ont connu ou suivi les anecdotes à son sujet pour mesurer la grandeur de l’homme. Ce n’est pas son fils qui parle,  ni un historien, mais c’est l’historien du patriarche qui parle.

La particularité du patriarche est qu’il a commencé le combat seul en 1935, ayant quitté le Sud Cameroun un an avant pour venir s’installer à Bafang où il sera le premier planteur et éleveur de la subdivision. 

C’est donc un homme relativement riche qui décide  de sacrifier sa richesse pour sa patrie, contre l’arbitraire

C’est un homme, non scolarisé qui arrive à Dibombari, puis à Douala en 1920. Est recruté à la RW. KING en 1921 comme aide-vendeur puis garçon de maison et qui devient chauffeur dans la même société en 1925. Il est parmi  les premiers chauffeurs camerounais et gagnait  650 FCFA par mois.

C’est ce qui va lui permettre de se constituer un fond pour avoir son autonomie et diversifier ses activités. 

En 1935, il a au moins 45 ans quand il commence à s’opposer au pouvoir colonial qui avait mis un stratagème sur pied pour abuser des planteurs.

Il deviendra ainsi la principale cible de l’administration coloniale qui va l’arrêter sans fondement en septembre  1947 au motif qu’il avait donné l’autorisation à ses concitoyens de planter le café, alors qu’il s’agissait juste des cartes de cotisation syndicale.  Il faut relever qu’il est le premier en pays bamiléké à créer un mouvement syndical en 1946, le Spp (Syndicat des Petits Planteurs) de la subdivision de Bafang,  pour encourager les populations à la caféier-culture, source de richesse à l’époque et dont le pouvoir colonial faisait un usage discriminatoire. Ce syndicat était affilié à l’USCC-CGT. Et c’est dans ce cadre qu’il fait la connaissance de Charles Assalé et de Ruben Um Nyobé. Ce qui conduit en 1948 à la création de l’Upc. Il est donc le premier à  installer à Banka en juin1948 le premier comité central de l’Upc du pays bamiléké. Il a souffert dans sa chair et perdu beaucoup de biens à cause de son engagement en faveur de la justice et de l’équité. Je vous fais grâce du reste que vous pouvez trouver dans son autobiographie.

Toutefois,  il est bon de savoir comme il le disait, qu’aucun peuple n’est constitué que de bons ou que de mauvais. 

Les nationalistes n’avaient pas de problème avec la France,  mais plutôt avec la politique française incarnée par son administration. Les socialistes français par contre étaient contre cette politique et apportaient leur soutien aux nationalistes. 

L’initiateur du mouvement syndical au Cameroun est d’ailleurs le communiste français Gaston Donnât, aidé par ses compatriotes,  Lalaurie, Soulier, Bonne Case etc…

FL : Au vu de tout ce que le patriarche Mbouendé a perdu, est-ce que les gouvernements Français et Camerounais ont pensé un jour à indemniser votre famille ?

CWM : Le président Ahidjo avait demandé qu’on recense les pertes qu’il a subies lors des évènements de mai 1955. Cela a été fait le 03 juillet 1960 et envoyé au premier ministre Charles Assalé sous le couvert du préfet des Bamiléké. 

Le patriarche n’a reçu aucun radis si ce n’est les persécutions postcoloniales qui lui ont valu une détention arbitraire de 05 ans au centre de rééducation civique de Mantoum (1965-1970)

Mais le ministre Kanga Victor, qui était Ministre de l’Économie lors de cette sollicitation en 1960, lui confiera plus tard que sur la base de ce document, le président Ahidjo avait sollicité de la France son indemnisation et que la France avait transféré  pour le compte du nationaliste la somme de 70 000 000 francs métropolitain, soit 35 000 000 FCFA, restée entre les mains du président Ahidjo et de son Ministre des Finances,  Charles Onana Awana.

FL : Doit-on comprendre que votre famille continue d’attendre cette indemnisation de la France ?

CWM: Je persiste à dire que nous n’avons pas reçu cet argent. La succession Jean Mbouendé continue d’attendre sereinement l’indemnisation de la France face aux injustices qu’elle lui a fait subir. Le patriarche n’a jamais reçu un franc d’indemnisation de la France, ni sa succession. 

Je voudrais préciser que sur l’effet de la  résolution n°1334 de la 640eme séance du  Conseil de Tutelle de l’Onu en 1955, la France a remboursé les provisions que le patriarche a envoyées dans une société coopérative  de mutualité à Clermont Ferrand  en 1950 pour rembourser un crédit qu’il n’a jamais reçu à cause l’obstruction du Haut-Commissaire du Cameroun, André Soucadezux. C’était 30% sans intérêt de retard. La succession attend le retour de 70% avec intérêt de retard sur les 100%.

En terme d’indemnisation, il y’a plusieurs volets, 11 000 plants de cafés en pleine production et âgés de huit ans en 1959, presque 1 000 bœufs volatilisés pendant son incarcération infondée en 1947, les pertes en vies humaines, les incarcérations non fondées,  etc…et le patriarche a bien précisé qu’il y’a un des volets qui a été réglé par la France, notamment celui concernant les évènements de mai 1955, soit 70 000 000 de Francs métropolitain, et  donc 35 000 000 de FCFA resté dans les poches du gouvernement Ahidjo.

FL : Est-ce que vous avez des éléments et autres archives de cette époque pouvant éclairer cette « commission mémoire » afin que la vérité soit sue et mise à la disposition des générations actuelles et futures du Cameroun ?

CWM : Des éléments existent et sont connus même déjà pour la plupart. Jean Mbouendé était non scolarisé mais a acquis le sens de la discipline et du bon sens auprès de ses patrons anglais. Il archivait tout et a commencé à m’initier à la démarche depuis la classe de 4ème. Ce qui m’a permis d’être le rédacteur de son autobiographie intitulée «  Pour la patrie contre l’arbitraire », qu’il a dédicacée avant de mourir 04 ans plus tard en juillet 2004. C’est une page de l’histoire du Cameroun qui n’attend qu’une chose: être lue.

D’autres éléments existent, récemment mis à la disposition du président Macron, du président Paul Biya, de l’ambassadeur de France au Cameroun et du Secrétaire Général  de l’ONU.

 

FL : Avez – vous un message à envoyer aux Chefs d’Etats Camerounais et Français ainsi qu’aux membres de cette « commission mémoire » ?

CWM : Il faudrait juste encourager les Chefs d’États à encourager les membres de la commission. Et demander aux membres de la commission d’éviter toute forme de  compromission car la porte de l’histoire est ouverte à tous, mais il y’a à l’intérieur un couloir positif et un autre négatif. C’est chacun à  travers son acte qui s’attribue une place.

Il faudrait dire aussi qu’ils n’oublient pas les autres victimes de cette guerre, dont le Secrétaire permanent du comité central de l’Upc à Banka, disparu le 29 Mai 1955 et jamais retrouvé.  Il s’agit de Njonko Tagne Samuel.

Je ne finirai pas sans rappeler aux Chefs de l’Etat cette citation chère au patriarche Jean Mbouendé : « Nul n’emportera le monde avec soi, mais ceux qui se soucient de l’humanité doivent avoir peur d’une postérité médiocre ».

Entretien réalisé par Prince Aristide Ngueukam