DÉLÉGATION DE SIGNATURE DU PRÉSIDENT AU SGPR

Un acte administratif normal depuis le régime d’Ahidjo

La scène politique camerounaise a été et continue d’être agitée par la délégation de signature accordée par le président Paul Biya au ministre d’Etat, secrétaire général à la présidence (Sgpr), Ngoh Ngoh Ferdinand. En effet, le 4 janvier 2019, il est promu ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence de la République. Un mois plus tard, il obtient la délégation de signature du chef de l’Etat Paul Biya, à travers le décret no 2019/043 du 5 février 2019 « accordant délégation permanente de signature à monsieur Ngoh Ngoh Ferdinand, secrétaire général de la présidence de la République ». Ce document qui n’avait jamais été rendu public par la présidence, a été plutôt découvert sur les réseaux sociaux, le 6 mai 2019. D’où la polémique, distillée par des réactions enflammées, au point où nombreux sont ceux qui s’interrogent désormais sur le bien-fondé juridique d’un tel acte. Décryptage.

Le Président Biya et le SGPR , Ngo Ngoh

Il faut dire d’emblée que le décret suscité s’adosse sur une disposition de la loi fondamentale : l’article 10 de la Constitution. Celui-ci stipule en son alinéa 2 que « le président de la République peut déléguer certains de ses pouvoirs au Premier ministre, aux autres membres du gouvernement et à certains hauts responsables de l’administration de l’Etat, dans le cadre de leurs attributions respectives ».

Acte administratif historique

Selon les experts, « la délégation de signature un est acte juridique par lequel une autorité (déléguant) délègue, non pas ses pouvoirs, mais la faculté de signer des documents et actes énumérés strictement dans la délégation à une tierce personne… la délégation de signature n’entraîne pas la délégation de responsabilité administrative, ni ne dessaisit le déléguant de son pouvoir originel », apprend-on. « C’est comme cela que l’administration fonctionne lorsqu’on forme un nouveau gouvernement, ceci encore plus quand le ministre en question bénéficie d’une nouvelle appellation. Il est devenu ministre d’Etat », explique le juriste Emeran Atangana Etemé. Pour ce constitutionaliste et enseignant de droit administratif, la disposition objet de débats « n’entraîne pas dessaisissement du président de la République, parce que la délégation de signature investit le délégataire mais n’entraîne pas dessaisissement du délégant ». Et d’insister : « ce n’est pas une délégation de pouvoirs, c’est une délégation de signature ». A l’en croire, «c ’est pour que le délégant n’est pas beaucoup de travail. Le ministre d’Etat rend compte, il discrimine ce qu’il peut signer de ce qu’il peut laisser à la compétence du délégant. Il sait, par exemple qu’il ne peut pas nommer des ambassadeurs, des préfets, des gouverneurs ou des ministres. Parce que si tout remonte, les parapheurs vont pleuvoir ».
En clair, la délégation de signature est un acte d’administration, un acte normal, tant sur le plan juridique que pratique. Elle est d’ailleurs accordée, par le président de la République, à son secrétaire général dès son entrée en fonction. Elle lui permet d’exercer la plénitude de ses fonctions, dans la limite des prérogatives que lui accorde le chef de l’Etat. Notamment la signature des actes réglementaires concernant l’administration de la police, la nomination jusqu’au rang de directeur-adjoint de la présidence de la République, entre autres. Concrètement, il s’agit de signer certains actes administratifs, comme de signer les actes d’intégration ou de nomination de certains personnels de la sureté nationale, ou de signer des courriers en son nom.


De Ahidjo à Biya

Depuis l’accession du Cameroun à l’indépendance, tous les secrétaires généraux de la présidence ont eu à bénéficier de cette délégation de signature, même si de tels actes n’ont toujours pas été rendus publics. D’autres responsables à la présidence de la République, à l’instar des secrétaire généraux adjoints et des conseillers techniques, bénéficient d’une délégation de signature. Une pratique qui se justifie simplement par le volume du travail administratif.
Bien avant le président Paul Biya, l’ancien chef de l’Etat Ahmadou Ahidjo avait signé en juillet 1975, un décret accordant au Sgpr d’alors, Samuel Eboua, une « délégation permanente de signature ». Dans les faits, ce décret conférait au Sgpr, le pouvoir de signer « au nom du chef de l’État, toutes pièces et correspondances relatives aux affaires administratives courantes ».
Concrètement, le Sgpr pouvait, dès lors, intégrer ou révoquer des diplomates, des fonctionnaires de police, ou encore effectuer des virements des enveloppes budgétaires de chapitre à chapitre. Et dans le cadre de cette délégation de signature, le Sgpr avait la possibilité de discriminer lui-même les affaires qu’il estime opportun de réserver à la signature du chef de l’Etat.

Depuis 82, au moins quatre délégations de signature accordées aux SGPR

Depuis l’accession de Paul Biya à la magistrature suprême, c’est au moins la quatrième fois que Paul Biya accorde la délégation de signature à un secrétaire général de la présidence de la République. Seul Titus Edzoa, avait rendu public, le décret lui accordant cette prérogative. Ce décret signé le 4 août 1994, l’ancien Sgpr l’avait publié dans son livre intitulé « Cameroun, combat pour mon pays », publié en juin 2018. Parmi les pouvoirs à lui accordés, figuraient : « l’intégration, l’abaissement de classe, de grade ou la révocation, ainsi que la mise en retraite des fonctionnaires de la Sûreté nationale ; la nomination jusqu’aux fonctions de directeur adjoint à la Présidence de la République ; la publication au journal officiel, lorsqu’elle requiert l’intervention préalable, d’une décision présidentielle l’ordonnant».
En 1997, le président Paul Biya va accorder quasiment les mêmes pouvoirs à son secrétaire général de cette époque, Marafa Hamidou Yaya. Différence notable, le Sgpr ne peut plus effectuer des virements de crédits budgétaires, mais bénéficie d’une nouvelle compétence : « nommer jusqu’aux fonctions de directeur adjoint à la présidence de la République ». Son successeur Jean Marie Atangana Mebara(Sgpr de 2002 à 2006) bénéficiera du même décret. Ce dernier précise d’ailleurs dans son livre « le secrétaire général de la présidence de la République, entre mythes, textes et réalités », paru aux éditions le Harmattan, que la délégation permanente de signature : « n’est pas une délégation de pouvoirs ». « Pour une délégation de pouvoirs, il faut un acte spécial, “expressément pris” », conclut-il.
Ce sera également le cas pour l’actuel tenant du poste, Ferdinand Ngoh Ngoh, nommé Sgpr en décembre 2011 et qui détient une délégation permanente de signature, depuis février 2019.

Qu’est ce qui fait problème?

Le monde est d’accord sur le fait qu’en cas d’empêchement temporaire, le président de la République charge le Premier ministre ou, en cas d’empêchement de celui-ci, un autre membre du gouvernement, d’assurer certaines de ses fonctions, dans le cadre d’une délégation expresse. Cet acte du chef de l’Etat est une pratique bien connue, mais a, très souvent nourri la conversation dans les chaumières, tout comme dans les cercles politiques. Le président de la République, comme il n’a pas de vice-président, peut donner son pouvoir même au simple ministre pour des domaines bien précis.
Mais pourquoi à peine Paul Biya a délégué sa signature à Ngoh Ngoh que sur la toile, le texte est rapidement devenu viral, pour l’opinion qui s’émeut de cette disposition ?
Il se trouve que c’est à travers la fuite d’une série de documents sur les délégations permanentes de signature accordées aux secrétaires généraux de la présidence de la République que les Cameroun ont découvert ce décret. Il aura fallu trois mois pour que les Camerounais se rendent compte que le président Paul Biya a accordé, par décret, depuis le 5 février 2019, une « délégation permanente de signature » au Sgpr Ferdinand Ngoh Ngoh. Ce qui a laissé subodorer une envie coupable d’une opacité parlante.
En effet, si du côté du parti au pouvoir, on ne trouve rien de mauvais dans ce décret présidentiel, du côté de l’opposition, la découverte de texte a réouvert le débat sur la capacité réelle du chef de l’État à gouverner, marquant ainsi une indisponibilité temporaire du chef de l’Etat. Certains voyant en ce décret de trop larges pouvoirs accordés à ce proche collaborateur du président de la République.
En outre, ce geste intervenait au lendemain de vastes remous qui avaient suivi ce décret présidentiel, signé en date du 09 février 2019. On était en tout début de la première année d’un septennat jugé de trop par de nombreux observateurs. Pour une franche de la population, ledit décret était simplement injustifié et partisan. Dans la mesure où, il venait renforcer l’autorité d’un proche collaborateur du président de la République. Pour d’autres par contre, il s’agissait simplement d’un acte illégal. Bien que la Constitution le prévoie, « comme ce n’est pas justifié, il y a déjà une transmission de pouvoir de gré à gré. Ça nous inquiète déjà. Ça nous laisse penser que monsieur Biya, vu son âge, n’est plus en capacité de gouverner. Il devrait plutôt démissionner. », dénonce Maître Djoumbissié, cadre du Mrc, une délégation de signature sous fond de « pouvoirs », étant donné que la « délégation permanente » de signature, souvent confondu à la délégation de pouvoirs, est certainement trop tentante pour ne pas lorgner le pouvoir présidentiel. Notamment, dans un environnement ou l’alternance au plus haut sommet de l’Etat ne fait plus l’ombre du moindre doute, bien plus, n’est qu’une question de temps.
Les missions régaliennes du Sgpr
Le poste de Sgpr du Cameroun a été créé par décret n°60-5 du 21 juin 1960. Suite à la Réunification en 1961, ce poste a été supprimé et ses attributions dévolues au Cabinet civil. Il a été remis sur pied en 1965 et 18 Camerounais se sont succédés à sa tête depuis lors. Les prérogatives sont bien contenues dans le décret n°2011/408 du 09 décembre 2011 portant organisation du gouvernement. Le secrétariat général de la présidence de la République est dirigé par un secrétaire général (Sg) assisté par 02 secrétaires généraux adjoints. Le Sg assiste le président de la République dans l’accomplissement de sa mission. A ce titre, il reçoit du président toutes directives relatives à la définition de la politique de la nation; suit l’exécution des décisions prises par le président ; coordonne l’action des Administrations rattachées à la Présidence ainsi que précisées aux articles 5 et 37 du décret suscité ; instruit les dossiers que lui confie le président de la République et suit l’exécution des instructions données ; … assure la mise en forme, en liaison avec le Sg des Services du Premier ministre (Pm) ou des ministres concernés, des projets de loi à soumettre à l’Assemblée nationale et au Sénat. Il veille à la réalisation des programmes d’action approuvés par le président et impartis aux chefs de départements ministériels et aux services relevant de la Présidence ; prépare les conseils ministériels, en liaison avec le secrétaire général des Services du Pm, les conseils restreints, les conseils et commissions présidés par le président de la République ; assure l’enregistrement des actes réglementaires signés et des lois promulguées par le président, ainsi que leur publication au Journal officiel ; assure la tenue et la conservation des archives législatives et réglementaires ; exerce le rôle de conseil juridique de la présidence de la République et des administrations rattachées.