Au cœur des évènements de mai 1955
Cela fait 68 ans aujourd’hui que le pouvoir colonial a orchestré des émeutes pour tenter de neutraliser le nationalisme et surtout d’éliminer ses locomotives.La subdivision de Bafang en était un bastion avec son leader Jean Mbouendé qui depuis 1935 s’est illustré comme gendarme de ses concitoyens en refusant toute forme de compromission et en dénonçant toutes les formes d’injustices.
Ainsi, il va créer le premier syndicat bamiléké(Spp) à Banka en 1946 pour défendre les planteurs, ce qui va lui valoir un emprisonnement abusif de 07 mois 15 jours.
Après sa libération en 1948, il implante le premier comité central de l’Upc des pays bamiléké à Banka en juin 1948. Avant cela, il va dénoncer dans les années 1930, le régime d’indigénat et des travaux forcés qui avilissaient les indigènes et empêchaient la scolarisation des enfants.
En 1952, à la faveur du premier voyage de Ruben Um Nyobe à New-York, il va lui remettre 4 000 000 francs Métropolitain comme contribution du comité central de la subdivision de Bafang. Tout ceci ne pouvait pas se passer sans récriminations du pouvoir colonial face à la « têtutesse »de Jean Mbouendé.
Ainsi en plus d’un cheptel de 1 000 bœufs qu’il perd après son emprisonnement en 1947, il va aussi subir d’autres affres de la colonisation.
En effet, le 24 novembre 1950, Jean Mbouendé sollicite un prêt de 4 000 000 Francs Métro, soit 2 000 000 FCFA à l’agence générale de l’Union Inter-Régionale de Crédit, Service D17 Rue de la Paix Paris 2éme.
Après avoir demandé les renseignements sur les modalités d’octroi de crédit, qu’il a obtenues le 29 du même mois, Jean Mbouendé va envoyer à cette société 09 mandats pour un montant total de 404 500 Francs Métro en date du 09 février 1951, puis 09 autres mandats totalisant 404 400 Francs Métro le 13 juillet 1951. Le total des deux groupes de mandats faisait 808 900 Francs Métro et représentait le fonds de souscription.
En date du 04 novembre 1953, l’ Union Inter Régionale de Crédit va saisir Jean Mbouendé pour l’informer de ce que le contrat C H. O 23 lui a été attribué depuis le 22 juillet 1952 et qu’il doit poursuivre avec le versement des mensualités en remettant au notaire de l’Union Inter Régionale de Crédit résidant au Cameroun, les actes qui pourront permettre d’envoyer à Jean Mbouendé le prêt sollicité, soit 4 000 000 Francs Métro.
Jean Mbouendé va remplir toutes ces conditions et ne recevra aucun prêt.
Le 16 juillet 1953, il reçoit une lettre venant du liquidateur de l’Union Inter Régionale de Crédit qui l’informe de la cessation des activités de l’institution financière depuis le 18 mars 1953. La lettre indique par ailleurs avoir demandé au notaire de la société de retourner en France les fonds, représentant le crédit accordé mais non décaissé par le destinataire final qui était Jean Mbouendé.
En réalité , le Haut-Commissaire de la république française au Cameroun, André Soucadeaux, avait fait obstruction à la délivrance de l’autorisation d’hypothèque au prétexte que Jean Mbouendé était « upeciste », en refusant de signer cette autorisation d’hypothèque qui avait été établie conformément à l’évaluation des garanties par l’expert commis à cet effet.
L’argent est donc retourné en France sans que Jean Mbouendé n’en rentre en possession alors que Jean Mbouendé avait déjà non seulement fait des avances pour rembourser le crédit de l’Union Inter Régionale de Crédit, mais pris par ailleurs des engagements entre autres avec son principal fournisseur de bovins, Saramory Konaté, originaire de Kankan en Guinée-Conakry et installé à Banyodans la région du Nord Cameroun. Ce qui va fortement perturber leur relation.
Ayant vainement exigé la restitution des sommes avancées, 905 834 Francs Métro au total aussi bien des dirigeants de l’Union Inter Régionale de Crédit que des autorités françaises, notamment le Haut-Commissaire de la République française au Cameroun, le ministre de la France d’Outre-mer et celui des Finances, le président de l’ARCAM, Jean Mbouendé va finir par saisir le Secrétaire Général de l’’Organisation des Nations Unies(ONU) par une pétition le 12 Août 1954 pour la même cause.
La réponse du Conseil de Tutelle de l’ONU, intervenue le 15 juillet 1955 dans la résolution N° 1334 de sa 640ème séance, va inviter la France à poursuivre ses efforts pour que le pétitionnaire Jean Mbouendé obtienne le remboursement des sommes qu’il a avancées.
La réaction de Jean Mbouendé suivra le 21 juillet 1956 par la pétition N°T/PET.5/930 arrivée au siège de l’Onu le 16 Août 1956 dans laquelle il accuse réception de la résolution 1334, fait le décompte des provisions et indique clairement le nouveau circuit de remboursement. Seulement 30% des provisions seront remboursées par la France, et sans aucun intérêt de retard.
Où sont donc passés les 70% de dettes restants de jean Mbouendé depuis 73 ans ?
Il est important de rappeler que relativement à cette période, Jean Mbouendé a fait une nouvelle tentative de demande de prêt auprès de la Caisse de Prévoyance Africaine le 08 juillet 1954 plus précisément, qui s’est soldée par un autre échec jugé discriminatoire par Jean Mbouendé.
La préparation des évènements de mai 1955 et le Scoop upéciste : le Cameroun à l’ONU.
1950 et 1951 allaient marquer un grand tournant dans l’histoire de l’évolution du mouvement. Ayant reçu en personne au Cameroun le secrétaire général de l’ONU, Dag Hammarskjold, le parti va secrètement lui remettre une pétition dans laquelle il exigeait l’indépendance du Cameroun. Suivront d’autres pétitions dans le même sens au siège de l’institution internationale à travers ce couloir ouvert par la visite de son chef. Tout ceci contribuera à donner à l’Upcune dimension internationale.
En 1952, Um Nyobé, le secrétaire général du parti va assister personnellement à l’assemblée générale de l’ONU à New-York. Son intervention devant cette tribune le 17 décembre de cette année sera magistrale et fixera les jalons de la réclamation de l’indépendance et de la réunification du Cameroun. Ce voyage est financé par les dons et les souscriptions des militants et sympathisants.
Le comité central de la subdivision de Bafang sous l’impulsion de Jean Mbouendé va donc contribuer à hauteur de FCFA 4 000 000 de francs métropolitain. A son retour, Um Nyobé fera le tour de tous les comités centraux de l’Upc du Cameroun pour faire le compte rendu de sa mission.
Il insistait notamment sur le fait que la position du Cameroun concernant les revendications indépendantistes trouvait une oreille attentive et s’améliorait considérablement, ce qui réjouissait les militants.
Parallèlement à la lutte politique, Jean Mbouendé va s’ériger en défenseur des populations de Banka toujours dans la démarche stratégique et paisible.
Ainsi, face à la volonté des chefs « collabos » de la mouvance coloniale regroupés dans l’association dénommée « Bloc Bamiléké » de spolier les terres du village au profit d’un colon, Arbez Gindré et la Seita, en mettant pression au chef Banka, le nationaliste va écrire une lettre d’opposition anonyme au Haut-Commissaire le 19 décembre 1950 comme si elle venait des populations Banka de la subdivision de Bafang. Les colons vont reculer.
Plan de déstabilisation de l’Upc ainsi que de ses membres.
Tout ceci n’était pas du tout du goût de l’administration française qui va commencer à envisager un plan de déstabilisation du mouvement ainsi que de ses membres.
L’Upc ayant franchi un cap important avec le voyage d’Um Nyobé à New-York en décembre 1952 et son intervention magistrale devant la 4ème commission de tutelle des nations unies, l’administration française va s’affoler.
La France des dirigeants va ainsi s’arranger à saborder le mouvement en créant des pesanteurs à son évolution.
Ceci commence lors des élections à l’assemblée en juin 1951 où beaucoup de candidats du parti ne sont pas admis en compétition dans plusieurs circonscriptions connues comme étant des fiefs du mouvement. C’était le cas à Bafang où JeanMbouendé sera obligé de soutenir plutôt une candidature pro-upeciste, en l’occurrence celle de Njiné Michel contre entre autre celle du prince Nitcheu Jean Baptiste.
Le premier est alors simplement plébiscité, ce qui va susciter l’ire du perdant, par ailleurs fils adoptif du nationaliste. La suite nous édifiera mieux dans son rôle lors des évènements de mai 1955.
Le même vote-sanction va prévaloir dans beaucoup d’autres circonscriptions notamment en Sanaga maritime où Um Nyobé bien que disqualifié va victorieusement battre campagne pour des alliés.
Dans les rares cas de validation de candidatures, tout est mis en œuvre pour faire échec à l’UPC et relativiser son évidente popularité.
Le 25 mars 1953, Um Nyobé en tournée à Foumban est sauvé de justesse d’un attentat grâce à Samuel Mékou Moumié, père de Roland Felix Moumié qui va réussir à le déguiser en femme en lui faisant porter un habit féminin connu sous le nom de « KabaNgondo ».
Il est néanmoins touché à la tête et est rapidement conduit à Bafoussam d’où il va rallier Bafang. Jean Mbouendé lui fera administrer les premiers soins avant de le conduire à son tour à Nkongsamba où la chaîne de solidarité du parti va l’acheminer à Douala où il sera caché au quartier Congo chez MonkamClément, premier trésorier du Jeucafra sous Paul Soppo Priso, commerçant et sympathisant upeciste, jusqu’à sa guérison complète.
« Je suis Camerounais et comme tel, je ne saurais adhérer à aucune organisation à base tribale »
Au niveau de Jean Mbouendé, les inimitiés vont rejaillir de toute part. Une organisation anti-upecistefédérant les chefs traditionnels bamilekés et dénommée «Bloc Bamiléké » viendra aussi à la rescousse.
Jean Mbouendé est vainement contraint d’y adhérer en dépit d’offres pécuniaires diverses brandies pour le compromettre.
Sa réponse à l’administration: « je suis Camerounais et comme tel, je ne saurais adhérer à aucune organisation à base tribale ». L’administration est dès lors déterminée à mettre le parti et ses hommes sous les feux nourris du sabordement. Les tristes évènements de mai 1955 en sont une conséquence directe. La détermination et la témérité légendaire du nationaliste vont se heurter à la farouche pesanteur de l’administration coloniale déterminée elle aussi à réduire à néant toute prétention à la souveraineté et à la dignité.
Face aux assauts à répétition du pouvoir colonial et de ses sbires à son encontre, Jean Mbouendé va choisir de rester légaliste et loyaliste mais dans une fermeté déconcertante.
Roland Pré, nouveau Haut- Commissaire de l’administration française au Cameroun viendra les mater … (à suivre)
Clément W Mbouendé,
Gardien de la mémoire du Patriarche Jean Mbouendeu